Comme il est question d'histoire pour ce dernier jour de l'avent, je vous propose une histoire vraie que j'ai transformée en ce qui pourrait être un conte de Noël.
Cela se passait au siècle dernier. Nous étions enfants dans cette petite chaumière, au creux de la vallée du ruisseau des Enclos. Quel âge avions nous ? Je ne sais plus. Une dizaine d'années peut être Moins... ? Ma petite soeur 3 de moins et les plus petits bien moins.
Dans un village voisin, un vieux monsieur, parcourait la campagne, vivant d'errances et de bons ou de mauvais soins relatifs à son indigence. Nous l'appelions "pépé". Nous avions le notre de pépé, mais celui ci était un peu particulier. Comme un bonus au royaume des pépés.
Sa maison au village de la Fayolle n'était plus qu'une ruine, partiellement dépourvue de toiture. D'ailleurs, il mourut seul au fond de sa cave, le plancher pourri ayant cédé sous le poids de son corps déjà si meurtri par les douleurs de la vie.
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Il se déplaçait sur les chemins enveloppé dans un vieux manteau gris et mité. Son bâton à la main. Pour se défendre des chiens et sans doute aussi des mauvais gamins, qui écoutant un peu trop les ragots de leurs parents, l'importunaient sans vergogne et sans ménagement.
A la maison, il entrait, jamais sans y avoir été invité. Pour lui, comme il le faisait souvent pour un ami ou un familier, mon père dépliait le chanteau (gros morceau de pain bis) lui payait un canon (verre de vin rouge, tiré au tonneau) sortait du placard le fromage et le saucisson et l'invitait à se rassasier, avant de lui offrir un dernier verre et un peu de lard tiré du saloir, qu'il fourrait dans sa musette lors de son départ.
Voilà donc l'histoire et ... c'est une réal-iction que je vais vous raconter :
Devinez qui vient diner ce soir ?
- Ce soir c’est Noël. Je n’ai rien préparé, se dit la Simone avec tristesse.
Cette année a été une année de misère, comme toutes les autres. Les récoltes et les foins ont pourries avec les pluies de cet été. Les vaches n’ont pas eu beaucoup de lait. Les veaux se sont mal vendus. Les enfants vont encore être déçus. Si ma mère était toujours là, on aurait passé Noël ensemble. Elle aurait tricoté un pull, des chaussettes ou un gilet bien chaud à chacun, pour affronter les durs frimas de l’hiver ! Depuis que les plus grands vont à l’école, il faut les équiper, cela coûte bien cher. S’ils ont perdu leurs illusions, les petits croient encore au père Noël, et il n’y a rien pour leurs petits sabots. Quelle vie que la notre, et quelle épreuve pour une mère, de ne pas pouvoir offrir à ses enfants ne serait-ce qu’une modeste bricole mais qui les satisferait tant !
Seul depuis des années, Jean Pradel n’était attendu par personne. L’été dormant à la belle étoile, l’hiver glanant quelques fagots, il jouissait d’une liberté totale. Mendiant son pain, usant ses nippes et trainant ses guenilles, il passait d’une année à l’autre sans se soucier du lendemain.
En ce 24 décembre, n’ayant plus rien à se mettre sous la dent, il prit son chemin en quête d’une âme généreuse qui lui offrirait un quignon de vieux pain rassis et une tranche de vieux lard ranci.
De gros nuages s’amoncelaient dans le ciel, la neige serait au rendez vous pour Noël. Prenant son courage à deux mains, Jean Pradel enfila sa cape trouée, chaussa ses gros sabots cloutés se coiffa de son vieux chapeau feutré puis muni de son bâton de buis, il se mit en chemin.
Il neigeait à présent. De l’étable toute proche, se dégageait une bonne odeur de foin séché. Les vaches ruminaient tranquillement, faisant tinter leur chaîne à chaque mouvement. Tout à l’heure, il faudrait les sortir pour qu’elles s’abreuvent, puis viendrait l’heure de la traite.
Comme ce soir c’est Noël, on mangerait après avoir fini le travail, la veillée serait ainsi plus longue, les enfants en profiteraient pour découvrir leur paquet (un malheureux jouet fabriqué dans un vieux bois à chaque heure de répit de la morte saison). Histoire de fêter quand même Noël.
L’épaisse couche de neige entravait la progression de Jean Pradel. Il ne se déplaçait plus que difficilement, à présent, ne distinguant plus son chemin. A plusieurs reprises, il faillit trébucher. La fatigue et la faim aidant, il s’étala dans la fange du fossé. Trempée, sa lourde cape ne le protégeait guère. Il savait que s’il ne se relevait pas, l’engourdissement ne tarderait pas à le gagner. Ce serait la fin d’une longue vie d’errance et de désillusions…
Tout à coup, il sentit quelque chose de chaud sur son visage. Un souffle si proche de son oreille, le fit tressaillir. Il se releva péniblement. C’était Lorette, le bon chien de berger du Raymond. Il ne devait pas être loin de Lossedat. Le chien lui fit fête, et l’attendait, calquant sa marche sur le pas lourd de Jean.
IL faisait nuit, maintenant, dans le ciel, pas une étoile, seule la neige continuait à tomber. Lorette et Jean Pradel cheminaient de concert jusqu’à la grande maison d’où, par la cheminée, une bonne fumée s’échappait. L’odeur d’une soupe aux choux chatouillait les narines. Un fumet délicat embaumait l’intérieur de la demeure.
Trois petits coups grattés à la porte.
- Maman, c’est la Lorette, elle veut rentrer !
- Fais la entrer, les vaches ont fini de boire à présent. Avec cette neige, ce n’est pas un temps à laisser un chien dehors !
- Maman, maman : avec la Lorette, y a le pépé Jean !
- Où ça, le pépé Jean ?
- Là dehors, il a froid, c’est la Lorette qui est allé le chercher !
- Hum, fais le vite entrer, lui aussi. Bonnes gens !
Tout étonnés, les enfants accueillirent le Pépé Jean.
On le fit entrer. Papa lui donna de vieux habits du grand père. Maman ajouta un couvert. La Lorette s’assit près de la cheminée, à ses côtés. Le repas commença dans la joie. Chacun ayant soin d’être attentionné envers cet invité de fortune.
Vêtu de sec, rassasié d’une bonne soupe bien chaude partagée à la chaleur d’un bon feu, bien callé dans le fauteuil du grand-père, Jean Pradel s’endormit. Les cris des enfants, leur joie et leur agitation ne parvenaient pas jusqu’à lui.
Quand les 12 coups de minuit tintèrent à la grosse horloge, poussant une dernière buche dans la cheminée, les enfants entonnèrent une cantate en l’honneur de Jean Pradel.
Qu'importe les sabots garnis d'une simple papillote et d'un Jésus en sucre. Le père en habit rouge avait oublié cette maison, mais Jean Pradel, lui, l'avait garnie de sa présence.
Ce fut cette année-là, un Noël inoubliable. Un merveilleux Noël.
C'est très beau, bravo.
RépondreSupprimerBleck