18/12: Odeur




 Ah, l'odeur des myrtilles ! qu'il était doux de courir dans les bois à la recherche de ces petites baies noires si délicieuses qu'on trouvait à foison dans le bois des Barthes* et dans celui du Marquis*. Nous allions mes soeurs et moi, en cueillir tout en gardant les vaches, à la Basse* ou aux Narses*. Il y en avait aussi sous le grand pin d'en haut la route*, pendant que maman ravaudait quelques paires de chaussettes, la Lorette ou une autre de nos chiennes à ses pieds, nous grapillions quelques unes de ces baies. Le talus dominait la pâture et nous nous amusions à faire des rondelous en contre bas. Jeux magiques, les rondelous. Il s'agissait de se coucher par terre et de donner la force à nos petits corps de dévaler la pente en roulant tout en bas. 
En haut la route

Parfois nous nous éloignions un peu, traversant les prés de Mourette*.  Les airelles faisaient un tapis sur la mousse, juste sous les sapins en bordure des Enclos*, il n'était pas rare que nous trouvions aussi quelques chanterelles jaunes du plus bon goût.  Depuis la pâture, maman nous surveillait en même temps que les bêtes.  Si notre voisine Berthe gardait aussi à côté, elles discutaient en raccommodant chacune leur lot de vêtements. "La" Berthe* lui parlait de ses enfants, de la vie au village du Rouvet*, et quelques autres anecdotes peuplaient leurs conversations, que nous tentions parfois de comprendre avant de nous adonner à d'autres occupations.  Nous aimions beaucoup "la"  Berthe et elle nous le rendait bien. Privée de ses petits, c'est vers nous qu'elle exerçait l'art d'être une grand mère attentionnée (Brice, si tu me lis...)
D'autres odeurs me viennent aussi en pensant à tout ça, celle du pain et du chocolat que nous faisions suivre pour notre quatre heure. Celles des fougères humides de rosée qui embaumait, les matins. De même que celle caractéristique des premiers champignons de l'automne, des chataignes ou encore des regains. Quand nous ne gardions pas, nous allions au bois amasser du bois pour l'hiver, c'était l'occasion  de faire de généreuses cueillettes de cèpes, de girolles, de chanterelles et de lactaires dits délicieux. nous en trouvions parfois, juste à l'orée du bois des Enclos* jusqu'à la plaine des lacs* ou à la Pate d'Oie*.  Tous ces parfums mélés, ajoutaient  de la saveur à nos journées. 
Sur la fin du mois d'octobre, nous ramassions les pommes et c'est l'odeur du cidre qui chatouillait nos narines, puis celle du marc réservé pour l'eau de vie. L'alambic venait au Moulin Neuf* pour distiller tout ça. Mon père attelait la Charmante et la Blonde et chargeait le marc dans son tombereau. Il revenait ensuite avec un tonneau  de gnole qui régalait d'un canard*, le café du midi, mais servait aussi à désinfecter une plaie à la place d'un désinfectant que les gens de la ville se procuraient en pharmacie. C'était tout ça l'enfance. Merveilleuses odeurs de cette enfance, quand on y pense ! Comme je voudrais revivre tout ça !  

* nom des différents lieux de nos aventures enfantines. 
*"la" ou "le" devant le nom propre, est un trait de langage en Livradois, un trait peu commun,  signe de distinction et de reconnaissance. Distinction, car on ne parlait jamais de gens que nous ne connaissions pas. De reconnaissance, car ceux dont on parlait étaient les seuls, les uniques, qui avaient le droit d'être cités  et les autres n'existaient que par leur nom de famille, nous ne les connaissions même pas. 
canard* = deux doigts d'eau de vie au fond d'un verre de café, souvent pour se donner des forces aprés  le repas du midi.

2 commentaires:

  1. ce sont de merveilleux souvenirs!
    je me rends compte aussi que les souvenirs olfactifs sont les plus forts, je ne réussis plus à "recréer" la voix de ma grand-mère dans ma tête mais je me souviens parfaitement de l'odeur de son cou :-) et de tous ces parfums de la nature que tu évoques si bien.

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