Que peuvent se dire cette jeune femme et ce chat dans la toile d’Auguste Renoir ?
Je suis sûr qu’il y a une histoire à raconter.
Une histoire qui commencerait, comme beaucoup de contes de fée, par « Déjà petite elle savait qu’elle allait se marier avec un prince. »
Et si elle se terminait sur « Elle sourit alors à la pensée qui la traversa. »
À Lundi j’espère…
Quand ses parents allaient aux champs, ils la laissaient à la maison, sous la bienveillante attention du pépé. Le vieil homme ne pouvait plus rien faire d'autre que de garder les petites. Il avait fait la guerre jadis et en était revenu mutilé. il avait toujours une canne pour se déplacer. maintenant qu'il était vieux, il lui en fallait deux. La gamine était maligne, elle trouvait toujours un moyen de lui fausser compagnie et le laissait en plan sans ses cannes qu'elle lui cachait, le temps de nous récupérer. Je la suivais partout, tandis qu'elle portait dans ses bras Petit Blanchou, car disait elle, lui ne peut pas sauter les rases (les rases pour les citadins, ce sont les rigoles creusées dans les prés pour les irriguer ou pour marquer les limites de propriété, souvent les deux, d'ailleurs). En effet, Petit Blanchou lui aussi avait fait la guerre. Comme nous autres chats. Les chiens ne nous aimaient pas. Particulièrement celui de la Clémence, le Pyram. C'est lui qui nous tua, tous, les uns aprés les autres. Aussi méchant que sa maitresse, il ne nous pardonnait pas d'être en vie, d'exister d'être aimé et d'être chats. Ce fut d'abord papa, le Gros Jaunet. La gamine en fut si meurtrie qu'on lui dit pour la consoler qu'il était parti au bois de Chaville, voir s'il y avait du muguet, puisque c'était en plein mois de mai qu'il était parti "au bois de Chaville". Tous les jours, la pauvre petite guettait en haut du chemin, voir si son chat revenait, demandant sans cesse, "dis quand reviendra -t-il ?" Puis quelques temps aprés, ce fut le tour du Gros Blanchou. Poursuivi par le Pyram, il tenta de se réfugier dans la cave par le petit fenestrou. Seulement celui ci était fermé et le molosse eut tôt fait de lui briser les reins. Pauvre vieux ! De lui, on dit à la gamine qu'il était parti au bois de Meudon. Les "Dis quand reviendra -t- il se multiplièrent et devinrent des "quand reviendront ils ? C'est loin Chaville ? C'est où Meudon ?" Toujours les mêmes questions. Toujours les mêmes réponses. Chaque fois qu'avec sa mère, elle traversait le grand bois qui borde la route qui va de Charel à Lossedat, on lui disait que c'était là, Mais en dépit de ses appels, les chats ne revenaient pas. Et le temps passait. Et ils ne revenaient toujours pas. Elle était dévastée, cette petite. Jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'ils ne reviendraient plus. Ne reviendraient jamais. Cependant, l'enfance a ce pouvoir magique que celui de rire et de chanter. Avec nous, elle courrait dans les champs, jouait, riait, chantait. Mais pour les premières fois de sa vie, elle était confrontée à l'absence. La douloureuse absence. La cruelle absence. Bien sûr elle y fut confrontée d'autres fois, souvent par la suite. Mais la première, celle dont on se souvient tout le temps, c'était celle là. Une peine est une peine. Quand plus tard, adulte, elle se retrouva pour une longue période de sa vie, tout prés de Chaville et pas loin de Meudon, elle pensa à ses chats. « Elle sourit alors à la pensée qui la traversa. »