Ce matin, j’ai été distrait par les piaillements des enfants qui entraient au collège en face de chez nous.
Je les ai regardés.
Des souvenirs sont revenus.
Et vous ?
Une rentrée des classes vous a-t-elle particulièrement marqué.
J’espère qu’on en saura plus lundi.

Les premières rentrées des classes laissent toujours un souvenir marquant. Parfois bon, tant l'impatience de découverte est puissant, parfois mauvais, tant la hantise des nouveautés nous tenaille à faire pleurer. Pour ma part, je n'ai jamais aimé ni l'école, ni les séparations. Alors cumuler les deux, pensez donc !
Pourtant je me souviens de l'ambiance qui a précéder ma première rentrée des classes. J'avais six ans. Oui vous avez bien lu, six ans, car dans les campagnes fleuries des années cinquante, les écoles maternelles n'étaient pas monnaie courante. Nous ne savions même pas qu'elles pouvaient exister. J'avais six ans passés, une tentative avait échouée l'année précédente à la rentrée des vacances de de Pâques, car en septembre, je n'en avais que cinq et on ne scolarisait pas en de ça de l'âge de six ans accompli.
On avait remplacé mes lourds sabots par des chaussures neuves de chez "Patalot" vendus par Monsieur Catinet, l'épicier ambulant dont le tube regorgeait de choses fabuleuses que je n'imaginais pas. Maman avait chois pour moi, un joli tablier bleu sur le catalogue de la Redoute ainsi qu'un cartable en carton vert écaillé imitant les sacs en cuir des belles dames de la ville que tout le monde admirait. Chaque jour, grand père, papa et maman me vantaient les bienfaits de cette école que j'avais hâte de découvrir. J'allais apprendre tant de choses ! Je n'imaginais pas un seul instant qu'il me faudrait pour cela les laisser et me séparer d'eux toute une journée, comme je devrais laisser la Charmante, la Blonde, La Jacade et la Mignone aller brouter les prés des Enclos sans moi, en compagnie de la Lorette que je devrais aussi laisser seule gambader dans les prés. Ma petite soeur de trois ans ma cadette, mon autre soeur et mon petit frère de quelques mois seulement ne me tiendraient non plus compagnie et ne partageraient pas mon quotidien. Grand père, qui vieillissait ne m'accompagnerait pas non plus sur le chemin, pas même au coin de la maison de la Francine, située quelques 50 mètres plus loin.
Ce premier jour, maman sa main serrant la mienne, m'accompagna, bien sûr. Mais arrivée dans la cour où tant d'enfants que je ne connaissaient pas, exceptés nos petits voisins plus âgés que moi, pépiaient en se bousculant et couraient dans tous les sens, je fus prise de panique. Une envie de faire demi tour avec maman, me tenaillait et j'eus toutes les peines du monde à lâcher sa main. Je ne sais même pas si maman eut droit à quelques mots de la maitresse, qui nous fit mettre en rang sur le côté. Je ne me souviens pas non plus de comment se déroula ma première matinée. Je sais juste que je regardais par la large fenêtre, au loin, en direction de Coudeyrat où je devinais les premiers pins de la Pinatèle qui me cachait mes Enclos. Je sais juste que je pleurais toutes les larmes de mon corps. Et que cela dura, dura, longtemps. Que ce schéma se reproduisit durant des mois et que l'angoisse et la tristesse faisaient de moi, l'enfant la plus malheureuse qui soit.
Plus tard, les autres rentrées furent de véritables supplices, la déchirure toujours vive ne s'estompait pas. Lorsque vint l'entrée au collège et le pensionnat d'où je ne rentrais que toutes les deux semaines, ce fut bien pire encore. Non seulement j'étais une enfant liée à la terre, à sa famille, mais en plus j'étais née pour être libre. La discipline, l'enfermement et la cruauté des directeurs (les mêmes qui m'accueillirent lors de ma première rentrée en primaire, n'arrangeait rien à l'affaire et là pendant 4 longues années, ce fut la déprime, la vraie. Mais on ne la soignait pas encore et peu importait que des enfants furent en souffrance. Personne ne les voyait.
Puis j'ai grandi, j'ai quitté le canton de saint Germain l'Herm et son collège maudit.
J'ai pris des trains pour aller plus loin. Je prenais mon autonomie avec plaisir, ma liberté aprés des années d'enfermement était salutaire. L'école a fini, définitivement fini. Est venu le temps des premiers boulots, loin des miens, loin de mon Auvergne. il me fallut du courage pour quitter les miens. Paris que j'avais hâte de découvrir allait m'accueillir. Mais la désillusion était encore au rendez vous. Je me retrouvais seule, isolée loin de ma campagne qui me manquait tant. Seule le soir dans ma chambre sous les toits. Seule le weeck end sans personne avec qui partager peines et joies. Les premières années furent difficiles. Souvent dans le métro quand je rentrais chez ce qui aurait dû être un chez moi, je pleurais en silence. Sur mon sort, sur mes Enclos que je ne reverrai pas de si tôt, sur mes parents qui vieillissaient, sur mes frère et soeurs, sur le monde que je quittais sans vraiment comprendre celui qui m'accueillait. Tant de choses changeaient en même temps ! Quand je revins la première fois, aprés trois mois de vie parisienne, aprés avoir embrassé tout le monde, je courus à l'étable. La Charmante n'était plus là... Ce fut une nouvelle source de désespoir. Ce départ je ne l'attendais pas, je le vécus comme une trahison, et repartis encore plus triste le dimanche aprés midi. Tout le trajet qui pourtant est long ne suffit pas à écouler mes larmes tant le désespoir était puissant.
Les années passant, les choses s’estompèrent cependant. Lorsque mes enfants vinrent au monde, ce fut une renaissance aussi pour moi. puis vint la première nounou, la première crèche et la première école. Avec au bout la même douleur lors des séparations. La même angoisse. Le même déchirement. Je hais les séparations et ne cesse d'avoir le coeur gros.

Cette toile de Nigel Van Wieck qu’on dirait tirée du cerveau de Hopper me paraît traduire plus que de la peine.
D’après vous ?
Que nous dit cette toile ?
On le saura lundi j’espère…