Adeline vient tout juste de se réveiller. Elle est en retard pour partir au travail. C'est la quatrième fois cette semaine et nous ne sommes que jeudi ! Le patron va encore gueuler. Il l'a prévenue, si elle continue, elle risque de gros ennuis. Cela la tracasse jour et nuit. Elle ne dort plus. Ne mange plus. Sa vie est un poison. Elle voudrait bien partir au soleil, mais prendre des congés en période confinée, elle ne veut pas gâcher encore une fois les promesses de belles futures journées. Bien sûr elle a la chance de ne pas pouvoir faire du télé travail. Mais qu'est ce que c'est lourd parfois ! Alors elle se laisse aller à s'évader. Ses pensées la submergent, elle ne peut que constater.
Pluie, vent, grondement de la terre. Ceci n'est pas un bulletin
météo, mais le temps qu'il a fait hier et c'était son jour de repos. Ce matin, dans la fraicheur, la
nature resplendit. Le soleil est de retour et diffuse une lumière
bleutée. Adeline aimerait pouvoir en profiter.
Les chats, tout à l'heure, sont sortis. Elle se dit qu'il lui faut en faire autant. Mais une longue et dure journée l'attend. L'énergie lui manque. Mais qu'est-elle entrain
de devenir ? Mal au dos, mal partout, le sommeil qui ne vient plus la
cueillir la nuit. Et elle qui tourne et retourne dans un lit que la
moiteur d'une sueur permanente ne cesse d'imprégner. Elle ne se plaint
pas. elle aurait tort. La souffrance ce n'est pas ça. Elle la voit sur le
visage de ses proches. Elle la devine parfois au téléphone, dans un spam,
dans un sanglot. Dans les yeux embués de larmes d'un enfant qui a tout perdu. Impuissante à la soulager. Alors elle se tait. Elle tait la
fureur qui monte en elle et la ferait hurler de rage. Non pas ça.
Comment peut il être infligé de souffrir autant, quand plus rien ne
soulage ? Et pourquoi, surtout.
La vie est parfois garce. Et
pourtant chacun s'y accroche essaie de la vivre à sa façon, de la
manière la moins violente qu'il puisse. Elle se dit qu'au fond, il suffit de presque rien pour que tout change et s'illumine. Qu'elle pourrait être belle. Un mot, un sourire. Un enfant. Un passant. Un oiseau sur la branche. Une fleur au jardin et tout peut changer. Mais le sort, la maladie, l'instant où tout bascule, le même presque rien et tout s'écroule.
Elle a ses deux jambes, ses
bras et toute sa tête, même si parfois elle dit qu'elle ne sert à rien. Lui manque cette espèce de piment qui vous donne la force, le goût et
l'envie de faire, de rire, de vivre quoi ! Elle entreprend 36 000 mille
choses qu'elle ne termine jamais. Elle commence ses jours dans l'ennui et
les termine dans la fatigue. Fatigue d'avoir juste laissé couler les
heures, parfois, sans en avoir rien fait. Coup de mou ? Peut être. Voie sans issue
d'une année sans perspective, sans joie, sans contact. Année blanche.
Mais pas pour tous. La petite minorité de multimilliardaires qui s'est
enrichie encore davantage cette année, n'a surement pas le même
ressenti. Blanche ? Noire plutôt, bien noire même. Sacrément noire.
D'une ténébreuse noirceur, pareille à celle d'un tombeau. Les jours plus
courts, les nuits plus sombres aidant, c'est la vie qui s'achemine
doucement mais surement vers les ténèbres.
Il faut te ressaisir,
ma fille, se dit-elle, sinon tu vas sombrer et dure sera la chute. Si dure que pour
te relever, tu n'auras pas assez de l'énergie qui fut la tienne, quand
tu tenais à bout de bras ton entourage. Le portant sur les vagues
d'océans de tracas, pensa-t-elle, encore.
Elle a le sentiment qu'on nous a tout pris. Nos familles, nos
proches, nos libertés, notre joie de vivre et même la douleur qu'on ne
peut plus partager. Est ce ça un état d'urgence sanitaire ? Est ce ça vraiment ? Rendre les
gens encore plus pauvres ? Encore plus malheureux ? Encore plus seuls ?
Plus précaires ? Tout ça pour vendre d'hypothétiques vaccins dont chacun ignore les
effets, la dangerosité et l'efficacité ? Elle en a peur.
Si tel
avait été l'intention de préserver notre santé, se dit-elle, on aurait commencer par
le début : donner les moyens aux soignants de soigner, plutôt que d'en
supprimer chaque minutes, chaque seconde davantage. Dans son service, il manque 15 postes et de départs en démissions, chaque semaine le nombre grandit. 400 000 supplémentaires seraient nécessaires dans les hôpitaux pour permettre un fonctionnement normal des services, chaque jour et pas seulement pour soigner un type de maladie au détriment de tous les autres. On aurait donné des
moyens aux chercheurs de chercher et peut être auraient ils trouvé ? Qui
sait. La science au profit de l'humanité. Pas aux profits de quelques
nantis du CAC 40.
Effets secondaires d'une crise dont on nous
cache le nom. Le véritable nom. Une crise nommée capitalisme dans un
monde ultra libéralisé et sans pitié.
La perspective des fêtes de fin d'année ne la réjouit guère. Elle n'a personne avec qui partager. En d'autres temps, elle aurait été l'invitée de quelques couples, de quelques familles qui n'auraient pas eu le coeur de la laisser seule. Mais cette année ? Pas plus de 6 qu'ils ont dit. Les pleutres ! N'ont ils pas de famille ? Personne à aimer, avec qui rire et chanter ? Ont-ils seulement un coeur ? Ils ont des intérêts et sont prêts à tout pour les préserver, surtout. Elle ne se fait pas de soucis pour eux, elle sait bien qu'ils festoieront grandement avec les meilleures tables à leur disposition, aux frais de la République qu'ils n'ont de cesse de mépriser, de piétiner et d'en détruire minutieusement les moindres des aspects.
Elle, comme tant d'autres, sera celle qu'on laissera de côté plutôt que celle qui complètera la tablée. Comment pourrait il en être autrement quand de nombreuses familles devront choisir entre la grand mère et le petit dernier ? Lequel sera laissé pour compte ? Lequel sera sacrifié ? Et comment le lui expliquer ?
Elle se souvient quand étant gamine à la ferme de ses parents, le jour de Noël, aprés avoir déplié l'orange trouvée au petit matin, dans ses sabots, sa mère l'envoyait chercher le pépé Jean, cet être sans défense, chassé par tous, au prétexte qu'il était un indigent. Ce jour là même le chien avait droit à sa part de festin.
Mais elle arrête là ses déshérences. Elle va encore être en retard au travail. Pas même le temps de finir son café.
La tasse posée là, d'un café brulant qu'elle n'aura pas le temps d'avaler. Le sac à côté. Elle cherche en vain les clés de son automobile, mais où les a- t-elle encore planquées ?