Derniers rayons

Je viens de choisir un titre pour ma balade tardive : "derniers rayons" et inévitablement je pense à maman. Quand nous étions gamin et gamines, comme tous les enfants, nous ne rangions jamais rien. De toutes façons, à quoi cela aurait bien servi ? Il y avait beaucoup de désordre à la maison. Un "pouillu" comme elle disait, monumental . Quand on cherchait quelque chose, on  tirait du tas et on trouvait. Si on ne trouvait pas l'objet en question, elle nous disait, c'est là, posé au "premier rayon". Ou bien quand on était embarrassé par quelque trucs ou machins et qu 'on ne savait pas qu'en faire, elle nous disait :"pose le là au premier rayon". Ce qui signifiait "pose le là et basta !
Elle n'a jamais rangé grand chose, la pauvre. Avec la vie qu'elle avait, aussi, faut dire, où aurait-elle trouvé le temps ? Aux champs ? Quand il fallait de l'aube au couchant faire un travail d'homme ? Au jardin ? Quand il fallait bêcher, sarcler, désherber le potager si on voulait manger tant soit peu quelque choses ? A l'étable ? Entre les vaches et les cochons ? A la maison ? entre la popote, les gamins (nous étions 7, tout de même, pas tous du même âge, mais quand même !), le raccommodage, et autres tâches domestiques indispensables ? Alors, oui, on posait les affaires au premier rayon, sans se poser plus de questions. Mais quand elle est partie pour de bon, le soleil brillait de tous ses rayons, lui, et dans le ciel, quand nous avons tiré la lourde porte du  grand jardin, là bas où il se couche sur les montagnes d'Auvergne, il y avait dans le ciel, comme une silhouette. Une silhouette à d'autres mêlée, de celles qu'elle retrouvait enfin après tant et tant  d'années. Maman sur son nuage nous regardait; Nous regardait pleurer, nous quereller,  nous débrouiller dans ce monde incertain, dans ce pouillu immense que nous avons laissé s'installer sur notre planète. Mais ce monde n'était plus le sien. Il nous appartient désormais de nous en accommoder. Ou  d'essayer de le changer.





Ronde des prés



Nous les évoquions ici il y a peu de temps, lors d'un échange. Hier sur Arte, un documentaire préoccupant  à leur sujet m'a fait ressortir ce poème que je leur dédiais il y a quelques années. Je vous propose de le partager. Il s'appelle "Ronde des près".

Je voudrais tant refaire la route

Voir des frisonnes dans les prés

Ne plus jamais avoir de doute

Les avoir toutes à mes côtés.

Le Cadet et la Finance

Qui depuis ma naissance

De leur bon lait me nourrissaient.

La brune, la blonde et la Normande

La rousse, la noire, la pijassée

La grise, la blanche et la fromande

Sans que l’on puisse m’en séparer.

Jolie, Jacade et puis Charmante

Roussette, Barrade, et la Ribande

Ode à la vie du temps passé.

Les rimes, les joies de mon enfance

Toutes, un jour les ont partagées.

Fauvette, Grivelle et la Mignone

Blonde, Frisade et puis Pomponne

Brunette, Noiraude et la Mascotte,

Cerise, Framboise, Fleur de Griotte

De vous j’entends encore parler.

Noisette, Baronne et la Marquise

Je les caressais toutes à ma guise

Leur mufle humide dans ma chemise

Leur souffle chaud comme la brise

Aux plus beaux jours de nos étés.

Et le Négus de la Francine

Qu’un jour j’eus hâte de retrouver

Quand j’étais loin de ma chaumine

N’avait pour moi aucun secret.

Je veux retrouver mon enfance

Pouvoir encore aller au pré

Courir tout auprès d’elles

Les pieds mouillés par la rosée.

Gasconne ou bien flamande,

Pie rouge ou bigarrée

Nantaise, belle fromande

Ou douce blonde du Vivarais

Elles avaient toutes une place à [prendre

Elles étaient toutes reines des prés

Elles n’étaient pas encore à vendre

Pour une simple bouchée.

Elles composaient de beaux attelages

Quand terre il fallait labourer.

L’hiver nourries de fourrage

Pas de farines empoisonnées

Elles nous donnaient de bons laitages

Dont elles connaissaient le secret.

On les gardait jusqu’à plus d’age

On leur vouait un grand respect.

Donnant le beurre et le fromage

Enfin leur chaire martyrisée :

Le fruit béni de leurs entrailles

Que juste né, là, sur la paille

A leur regard on dérobait.

Pas même le temps de faire téter

Le petit veau qui batifole

Que déjà d’elles on séparait.

Beuglant alors comme des folles

Dans une étable, elles pleuraient.

La rouge, la blanche, la montbéliarde

N’étaient plus que chair à vendre

Quand du départ venait l’heure

De cette vie pleine de labeur

Trahies par ceux qu’elles aimaient


Elles ne pouvaient plus alors qu’attendre  
Qu’enfin on [vienne les délivrer.

Salers, Tarine ou Abondance

Gerseyse, Lourdaise des Pyrénées,

Marine ou Bordelaise

Garonnaise ou Bazadaise 
Aubrac parmi les gentianes

allant chercher sur la planèze

ou sur les rives de la Jordanne

la fraicheur du soir étoilé.

Bretonne pie noire de l’Iroise

Armoricaine de Morlaix

Rousse Fromand du Léon

Casta Aure et Saint Giron

Flamande de l’Anvers

Ou Villarde de l’Isère

Cotentine, Rouge des près,

Qu’elles soient dociles Brune des Alpes,

ou bien Gasconne auréolée,

Blanche Nivernaise

Sur les mornes plaines de l’Allier.

Ou encore robuste Ferrandaise,

De la montagne de l’Albasses,

Jusqu’en bas pays Thiernois,

Et qui dans la saison basse,

Tirait grumes en Livradois.

Broutant en bordure de mer

La Pie rouge de Guernesey

Sa cousine la Gerseyse

Et la saonnoise de Cholet.

Elles avaient toutes raisons d’être

Avons-nous su les protéger ?

Je revois prés de ma mère

La Mignonne et la Frisade

Quand à Charel elle les liait.

La Pivoine et la Colombe

Qui se tenaient là dans l’ombre

Des grands arbres tout l’été.

La Jolie et la Jaccade

Attelées pour les battages,

Elles avaient bien du courage

Quand il fallait encore tirer

La lourde presse et la batteuse

Jusque près des javelles

Que tous ensembles on déliait.

Je citerais aussi Joyeuse,

Toutes les vaches du Charles,

La Pige, la Jasse et la Poupée

La jolie petite Nourse

Qu’avec mes sœurs, on promenait

Mais aussi la Demoiselle

Dont il faut bien ici qu’on parle

Si on ne veut pas en oublier.

Cottentine, et Limousine

Parthenaise sa voisine

Vaches Nantaise ou Maraîchine

Béarnaises ou Vosgiennes

Et la Brune Valaisienne

Camarguaise vache altière

Les grands bœufs de la Francine

Qu’elle campa à la Maudière

Après une course folle

Dans la neige de février.

Les grands boeufs du Louis des Bordes

De blanc et de roux habillés

Et pour les nommer dans l’ordre

Le Charmant et le Damiant

Le Bruno et le Brillant,

Chacun jouant son rôle,

Toujours prêts pour les corvées.

La Nono, la Marguerite

La Lunette et la Ponnette

La Mignonne de l’Henriette

Et les vaches de la Berthe

La Moutonne et la Coquette

Lo grands bius do Mouretto

Le Clairon, le Papillon

A qui il disait « peito »

En creusant droits les sillons.

Toutes les vaches de Parel

La Marquise et la Grivelle

La Brune, la Rouge, la Barrée

Les vaches de notre tendre enfance

La Calode et la Barade

Le Pompom et le Riband

La Jolie, Petite Blanche

La Contesse et la Frisade,

La Marguerite et la Roussette

Et puis pour finir la ronde

Pour la Charmante et pour la Blonde

Ma toute dernière pensée.




197e du nom. Au théâtre ce soir.