J'étais la première, elle la troisième. j'étais venu vous parler d'elle. Puis il a fallu faire autre chose, alors j'ai laissé sur le métier mon ouvrage. L'inspiration s'en est allée et avec elle les regrets. A la petite qui chantait tout le temps, s'est jointe une autre qui ne chantait plus. J'ai appelé mon fils, je pense à lui trés fort, hier soir j'ai regardé la télé. Et ben j'aurais pas dû. Voilà. Je ne l'ai pas eu au téléphone. Un SMS me disait qu'il était à Lossedat. Alors la tristesse s'est emparée de moi, un peu comme elle s'empare d'Ambre quand ses petits lui manquent et qu'ils sont à Fort Mahon. Fort Mahon, je me souviens que lorsqu'on était à Saint Ouen, la commune envoyait ses petits écoliers au centre de loisir et parfois dans un centre qu'elle possédait là bas, pour une journée. C'était du temps où la ceinture était rouge, où le budget consacré à l'enfance et à la petite enfance représentait 70% du budget de la commune. Le combien ça coûte on s'en fichait un peu, c'était une question d'étique et de priorité. Et oui, les municipalités Communistes, c'était ça avant tout, aprés on en a fait autre chose, les gens n'en n'ont plus voulu et se demandent aujourd'hui pourquoi leurs mômes n'ont plus d'autres choix que trainer sans oeuvre, sans âme, sans but dans les rues d'une banlieue qui se dégrade et déshumanisme à grand feu. Aprés je dis ça, comme je dirais autre chose, mais je dis surtout ça. Une tristesse, donc, qui s'est emparée de moi, à faire couler des larmes de quoi emplir deux seaux, mais qui nous font aussi choisir d'aller passer l'aspirateur et faire le ménage, moi, c'est des conserves de haricots que je vais aller faire, pour l'hiver, parce que ça résout rien de remplir des seaux, on les vide aprés sur la terre desséchée et ça coule sans rien arroser et puis tout ce sel c'est pas bon pour les plantes, ça les brule. Et elles crèvent. A Lossedat, quand on vidait le pot de gré - le pot de gré, c'est là qu'on conservait le salé quand on avait tué le cochon, et qu'on mettait pour les conserver les morceaux qui feraient la potée. - La potée c'est bon avec du choux et des pommes de terre. Moi je l'aime un peu poivré, alors je rajoute un peu de poivre et j'accompagne mon plat d'un bon rosé de Corent,
bien frais le Corent, un vin subtil, léger, clairé et bien approprié, il vient muri à point sur les coteaux éponymes, mais il faut savoir le conserver à bonne température, dans une cave bien fraiche comme sur les bords de l'Allier. Oui parce que c'est juste en haut qu'il prend tout son arôme, sur les falaises qui surplombent le val d'Allier, entre Vic le Comte et Veyre Monton, sous la protection d'une vierge et de viticulteurs locaux passionnés qui ont à coeur d'en préserver quelques sarments. Surtout les viticulteurs, parce que la vierge, hein...
J'en reviens à ma tristesse, parce que j'étais à la fois triste et gaie, triste parce que j'aurais aimé être avec eux et que la vie, les circonstances et les aléas ont fait que. Que je ne pouvais pas. Et contente parce que j'aime que mes enfants, que mes soeurs, que mon frère se retrouvent là bas. Parce que là bas, c'est ma maison où je suis née, où j'ai vécu, où j'ai grandi, où ils ont tous aprés moi, mis leurs pas à la suite et ils l'ont aimé, mes enfants c'est sûr, mes soeurs sans aucun doute, leurs enfants aussi, pour les mêmes raisons. Lossedat, maison passion. Maison racines. Maison enfance. Maison souvenir. Maison du coeur. Lossedat, dis, quand me reverras tu ? Dis au moins le sais tu ? Cette entaille profonde quand la refermeras tu ?
Je crois que la petite qui chantait tout le temps nous retrouvera sans doute ailleurs, une autre fois, car ici, ce n'est pas l'endroit.
J'étais venue vous parler d'elle et je ne parle que de moi. Je suis triste aussi de cela. Penser à soi et pas à ceux qui sont autour de soi ce n'est pas comme ça qu'il faut que ce soit. Et d'ailleurs nous n'avons pas été élevé comme ça. Mais je suis triste car ces moments que j'aurais voulu partager, je ne le ferai pas. pour la première fois, je ne le ferai pas. J'en veux à la vie, j'en veux aux circonstances malheureuses qui me privent de ces moments de choix. De premier choix. Le temps perdu ne se rattrape pas. Je suis comme Ambre, privée de mon essentiel, de mon existentiel. Oh bien sûr on y survivra. Mais j'avais envie de le dire. Alors voilà.