Entre Blanche et Pigalle.

Ah ce qu'il est loin mon moulin de la place Blanche, mes rues adjacentes et les bistrots au coin. Qu'ils sont loin tous mes repas sans galette, avec seulement un cornet de frittes à la main.  Non je ne suis pas entrain de vous réciter une chanson, mais je pourrai le faire, si seulement je me souvenais des paroles. Par contre, ce dont je me souviens, c'est de ce quartier, côté ouest de la butte (sud ouest plutôt)  où je venais souvent en semaine et surtout le dimanche, en promenade, pour quitter un peu Saint Ouen.
Parfois pour le boulot, j'allais du côté du central Trudaine, rattaché à celui de Navarin.  Je traversais  la place Blanche en pensant à Prosper et  "youp la boum". Cela me faisait sourire car nous avions un voisin du nom de Prosper et je l'imaginais en situation.
 Quand j'ai débuté ma carrière, non pas au french cancan, mais  comme opératrice téléphonique, comme toute provinciale, avide de connaissance et de découverte, je rêvais de venir à Paris. Je demandais donc une mutation pour la capitale. Je passais un concours et fus nommée a Paris. Trés vite je demandais à venir sur la butte et intégrais le central le central Montmartre. Mais cela ne se fit pas tout de suite. En attendant j'en profitais pour découvrir en touriste presque parfaite, les coins célèbres et les plus pittoresques que sont : la place du Tertre, le Sacré Coeur et sa basilique, quelques rues abritant des cabarets de renommée mondiale, comme "La grange au bouc"  ou "Le Lapin Agile et le "Chat Noir", le quartier Pigalle, le moulin rouge et celui de la galette. Je me souviens que ces lieux m'impressionnaient. En petite provinciale  naïve et peu avertie, j'avais souvent entendu parler de Mistinguette, de Patachou ou de madame Arthur. Je ne voyais pas franchement et ne comprenais pas non plus pourquoi en parlant de ce quartier, les hommes gloussaient et les femmes se détournaient de la conversation, comme si une chose honteuse en émanait. On m'avait aussi, bien recommandé de ne pas  "trainer par là bas", comme si je risquais quelque chose de grave. C'est donc avec quelque appréhension que j'en découvrais les contours. Puis contact pris, je m’aperçus bien vite que je  risquais bien plus ailleurs qu'ici, je choisis donc d'y revenir aussi souvent que j'en avais envie. 
Parfois,  remontant le boulevard   depuis la place Blanche, vers Anvers et Barbès j' inspectais tous les endroits qu'un connaisseur avisé  se doit de connaitre s'il ne veut pas passé pour un vulgaire amateur. Je faisais un saut chez Tati avant de contourner l'immense édifice par la rue de Clignancourt et revenir par le marché Saint Pierre où je faisais provision de tissus et mercerie diverse avant de remonter la butte versant Est. Naturellement je ne connaissais de Montmartre, que ce que tout le monde connait. C'est à dire rien.
Rien, car le vrai Montmartre, j'allais le découvrir plus tard.  4 ans plus tard. Et là je découvrais pour de bon la place Blanche et son coeur palpitant. Calme le jour, foisonnant la nuit. Mais qui n'a pas fait un tour de Paris by nigth ne comprend pas bien ce que cela signifie.
Je me souviens aussi avoir conduit mon fils dans ce quartier où il y avait une clinique non loin pour y subir une intervention chirurgicale. Il était alors tout bébé. Je revois les murs jaunes de la clinique, les draps blancs et sa petite chemise bleue. Il me souriait. On aurait dit un ange sur un nuage.  Quand on vint le chercher pour l'opérer, il fut pris de panique et moi aussi. Je ne le montrais pas mais j'eus le coeur gros. L'intervention ne dura que quelques instants. Il resta une nuit en observation, moi à ses côtés. Le lendemain on rentrait à la maison.
J'ai souvent traversé la place Blanche par la suite en diverses occasions, ne serait ce que pour me rendre vers Saint Lazare où là aussi je laissais mes pas me porter vers les grands boulevards où il y a tant de choses, tant de choses à voir.

Rêverie d'un soir.

Ah qu'il fut doux de me pendre à son cou ! j'en rêvais depuis si longtemps. Aussi quand ce soir là au bal du 14 juillet il m'invita pour la danse finale, je n'en crus pas mes yeux. Mes oreilles se mirent à bourdonner au son des flonflons et les mots qu'il me susurrait me laissaient pantoise. Tantôt balancée, tantôt serrée contre   sa robuste poitrine, je ne me sentais plus voler. Son regard chatoyant posé sur mes épaules quasiment nues me donnait des frissons que je n'osais réfréner. Je me laissais alors aller à une douce et tendre rêverie, blottie, là contre lui.
Le décor de la salle de danse évoquait une ile perdue au loin  dans un vaste océan où je m'égarais en perdition au bras de mon bel amant.
Quand il m'allongea sur l'herbe, parmi les fraiches fougères, je délirais déjà. Le  majestueux frôlait l'indécence et je me laissais entrainer pour une douce nuit de folie. Cela ne dura qu'un moment, le temps du plaisir assouvi, mais pour moi ce fut la plus belle des nuits. On me dit à présent que le temps des moissons ne dure pas plus que celui d'une saison. Mais ne vous a t- on jamais appris que les plus belles d'entre elles sont celles qui se font quand le grain est mur à point et qui se terminent avant l'orage ? Aujourd'hui quand vient l'ennui auprés d'un vieux mari aigri,  je repense à cette nuit où tout me fut permis. Je revois en rêve ce corps de bel athlète, plus beau  qu'un dieu grec, et je sens battre en moi mon coeur si fort que ma poitrine se déchire à en perdre la raison. Je ferme alors les yeux et je revis ces instants où deux corps enflammés s'unissaient dans une danse ultime et criaient à la lune leur plaisir unanime.

Quelques jours en été.

 
J'ai devant moi une gravure du Puy de Dôme et de ses petits frères les volcans. Je me souviens que plus jeune, je rêvais de descendre dans le cratère d'un de ceux que j'apercevais depuis le haut du pré des Enclos, si nettement, quand le temps chaud devenait orageux.
Nous nous dépêchions alors de finir de gorber les foins (gorber veut dire le rassembler sur une longue ligne droite afin de mieux pouvoir le mettre en botte ou bien de le charger en vrac sur le char) pour finir avant la pluie qui anéantirait notre travail de plusieurs jours. De fin juin à parfois fin aout nous passions nos étés en fenaison. J'aimais bien ce travail pourtant pénible, mais il correspondait aux vacances, synonymes pour moi de liberté. Il rimait avec  chaleur. Et j'aimais celle de juillet. Il s'accordait parfois avec de jolie surprises, comme les retrouvailles avec les cousins de notre âge, et le temps passé ensemble, tous ensemble.
 Pourtant il est évocateur aussi de drames, de souffrance, de désespoir. Quand par grosses chaleurs, la fatigue aidant, mon père perdait patience et piquait de si grosses colères que nous avions peur. Quand las et fatigué, malade, il se courbait en deux ne pouvant plus respirer. Quand parfois il arrivait qu'il s'effondre un genou à terre. Quand ma mère épuisée ne savait plus que faire. Quand exténuée, elle disait de telles choses que nous avions peur. Quand la situation devenait tendue. Quand nous aussi nous aurions bien pris un peu de repos loin de la poussière de la fenière. C'était si dur.  Il m'arrive souvent, encore aujourd'hui d'éprouver de l'angoisse ressurgie de ces temps là.  
Mes souvenirs d'enfants sont si présents que pour moi, c'était à peine hier. 
Et puis il y avait ses intenses moments où nous suivions les étapes du tour, le transistor  posé à même le sol et où je m'enthousiasmais pour les exploits de mes champions préférés.  Où j'étais triste s'il l'infortune les frappait. Je me souviens d'un 13 juillet 1967. C'est la première fois qu'on parlait de dopage sur le tour, mais un homme était mort. 
Je me souviens de mon voisin Charles qui venait nous aider, quand on fanait son champ de la Basse. Lui aussi aimait le tour. Tout deux, n'avions d'yeux que pour Poulidor, parce que lui aussi connaissait bien les durs travaux de la ferme.
les foins à la Basse

 Quand les foins étaient rentrés, nous nous dépêchions de décharger le char, à l'aide du vieux déchargeur. Mon père me racontait que s'il l'avait acheté avant guerre, il aurait pu le payer en intégralité. En 1948, quand il en fit acquisition, l'argent avait perdu une telle valeur, qu' avec ses économies,  il ne pu payer qu'un tuyau de l'immense machine. Mais mon grand père et ma grand mère étaient si fatigués pour l'aider à entasser le foin que cet achat était indispensable.
Par la suite, ma mère en" bénéficia" car c'est elle qui se collait à enfourner le foin dans la gueule de l'engin pendant que mon père entassait les grosses brassées jetées par  la machine  dans la fenière sur le chamarat.
Plus tard, quand ses crises d'asthme se déclenchaient, c'est mes soeurs ou moi qui étions chargées  de l'affaire.
le vieux déchargeur


1970 : les foins à la pâture des Narses

les prés des Enclos
Les travaux d'été ont longtemps occupé mes vacances et celles de mes frères et soeurs. C'était ainsi. Personne n'aurait songé à s'y soustraire. Personne ne se plaignait. Si parfois l'un de nous "râlait", on se chargeait de le rappeler à l'ordre, si bien que le retord ou la retorse  cessait ses jérémiades. 
Pour nous récompenser, nos parents nous autorisaient quelques sorties, le dimanche soir lors des fêtes des environs. Je n'aimais du tout ces fêtes. Je ne les ai jamais aimé, mais j'avais d'autres plaisirs pour compenser. Quand les gros travaux se terminaient, nous allions quelques jours en vacances mes soeurs et moi, chez la cousine Henriette. Je crois que tous le monde aimait cette femme simple et aimante. Franche et directe. Paysanne, comme nous, nous retrouvions chez elle, notre univers. Nous n'étions pas dépaysés, mais nous nous reposions chez elle. L'ambiance y était sereine et conviviale. il y avait toujours de l'animation dans cette famille, tant cette femme était joviale et agréable à vivre.   D'autres fois, les grandes, nous allions une journée ou deux à la fin des vacances chez une copine de maman. Jeanne était aussi paysanne, sans enfant, elle aimait notre compagnie et s'occupait de nous à la manière d'une mamie.  Chez elle nous étions aux anges.  Je choisissais le nom de ses vaches, j'allais avec elle à l'étable m'occuper des petits veaux, j'assistais à la traite, puis nous allions lâcher les vaches au pré en bas la maison. Ensuite nous participions au menu pour le repas de midi et avec elle confectionnions de bonnes pompes aux pommes qui étaient un délice. Puis nous allions jouer avec les autres enfants du village. Parfois nous faisions une petite visite à d'autres amies de maman et à ma marraine qui habitaient non loin.   Notre séjour ne se terminait pas sans regret, cependant, nous étions contentes de retrouver notre foyer. 
Il n'y avait qu'un endroit où je n'aimais pas me rendre. C'était en ville chez nos tantes. Je m'y ennuyais. Je me souviens d'une fois où j'avais si hâte de rentrer, qu'au bout de 2 jours, je prétextais qu'il fallait que j’aille voir si la Jaccade avait encore à manger.  Ma tante me remis aussi tôt dans l'autobus qui remontait de Clermont et lendemain, je m'occupais à nouveau de la Jaccade et de ses copines.   
Les vacances terminées, c'est avec regret et beaucoup d’appréhension que nous retrouvions le chemin de l'école jusqu'aux prochaines vacances,   où nous nous occupions du ramassage des pommes, une autre occasion d'aller dire bonjour à Jeanne et de retrouver toutes ces merveilleuses personnes qui par amitié pour maman, nous délivraient beaucoup d'affection.          

Retrouvailles

Vous commencerez impérativement votre texte par la phrase suivante : "Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi." Propos tenus par Milan K , qui plaisante.

Vous terminerez par la phrase suivante : "La vie, voyez vous,  ce n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit." Ainsi philosophe la bonne Rosalie, personnage de Guy de M, qui raconte une vie.


Entre les deux, casez ce que vous voulez ! 
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Cet exercice aurait pu s'appliquer à mon texte précédant avec lequel il aurait collé parfaitement. C'est pourquoi j'ai choisi de rester sur le même thème. D'inspiration peu prolixe, ce n'est pas un texte original, mais je tenais à ma participation, dernière avant " la rentrée", afin d’honorer Lakévio qui se décarcasse pour solliciter nos neurones engourdis par la chaleur et des fois pas que ... 
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Ainsi après bien des années, je me retrouvais chez moi. Cela faisait maintenant plus de 20 ans que j'avais quitté ce quartier plein de vie, et que j'aimais tant. 
Pour mon anniversaire, Françoise avait organisé une fête avec nos amis. Elle s'était donné du mal et avait contacté tous nos anciens collègues pour ces retrouvailles. C'était mon rêve fou, pouvoir un jour réunir autour de moi, les gens avec qui j'avais posé des pierres pour jalonner la route parcouru depuis ma sortie de l'enfance jusqu'à aujourd'hui.
Elle avait loué une salle dans la rue où nous nous retrouvions ensemble à maintes occasions. Le quartier avait beaucoup changé. Les boutiques avaient fermé. A la place les banques, sociétés de voyages, assurances et autre pièges à touristes fortunés ou pas, occupaient l'espace laissé vacant par une population repoussée de plus en plus loin aux confins  de la ville et de sa lointaine banlieue. Cependant ce vieux quartier du 18 ème gardait des airs d'autre fois. Le café bois charbon était toujours là. Gravées dans la pierre, les lettres majuscules entrelacées du vieux central téléphonique s'affichaient encore rappelant aux passants toute l'histoire  du bâtiment depuis 1932 où il fut construit, jusqu'en 1997 où seuls demeuraient les parois verticales comportant les réglettes  propres au raccordement des lignes téléphoniques desservant les abonnés. Face à lui la maison verte accueillait peut être encore les histoires, belles ou tragiques que venaient lui confier les habitants du quartier. La rue Cyrano de Bergerac n'avait pas changé d'aspect. Les grandes portes du bâtiment où je laissais bébé avant d'aller travailler, donnaient à la façade une touche de gaité et surlignaient la rampe d'escalier qui débouchait plus haut sur une artère plus grande, donnant accés aux commerces ainsi qu'aux immeubles huppés bordant les vignes et quelques cabarets.
Ce "chez nous" personne ne l'avait oublié. Tous  avaient répondu présents à la sollicitation de Françoise, impatients qu'ils étaient de pouvoir évoquer à nouveau  leur jeunesse et le temps du partage autour du verre de l'amitié. 
Bien sûr, chacun avait ses rides, l'emprise du temps n'avait épargné personne. Mais tous avaient à coeur de se soucier de l'autre, de celui qui des années durant avait partagé tranche de vie, de solidarité, d'amitié, de rires, de pleurs, de souvenirs, celui des enfants, celui des vieux parents. Chacun avait évoqué sa propre vie. Non pour dire qu'elle était mieux réussie ou moins bien que celle de l'autre. Non plus pour comparer ou faire état d'une supériorité, mais simplement pour  prolonger encore un peu la complicité des bons moments. Malgré l'absence de quelques uns ayant du quitter le navire trop tôt, ou ayant raté la dernière marche et chuté au mauvais endroit,  ce fut une belle et merveilleuse fête. L'amitié était toujours présente pour atténuer les peines  et partager les joies, car  la vie, voyez vous, ce n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit.

Il était une fois.