Le temps est à l’été précoce, autant que le fut le printemps.
Pas seulement dans le sud du pays.
Ici
aussi, et si j’en crois cette toile de Suzanne Valadon, il s’est aussi
installé dès 1928 sur la rue Cortot, charmante rue de Montmartre dont je
suis sûr que Delia la connaît et qu’elle y a sûrement traîné un
après-midi de printemps.
Mais vous, vos printemps et vos jardins, que vous inspirent ils ?
J’espère que nous nous lirons les uns les autres lundi.
La rue Cortot peinte par Suzanne Valadon, mère de Maurice Utrillo qui en a peint lui aussi quelques beaux tableaux, est originaire de Bessine sur Gartempe (Haute Vienne) alors, comme le dit notre cher Goût, bien sûr que cela m'évoque plein de choses, moi qui ai autant vécu à Montmartre qu'en Limousin. Avec évidemment une nette préférence comme vous le savez. Cette rue Cortot avec ses jardins et ses vergers, ses vignes aussi. En lisant le sujet et les commentaires inspirés, je me disais moi aussi : Si Paris n'est plus Paris, qu'au moins Montmartre soit resté Montmartre !
Toutes ces oeuvres abritées derrière les murs de son musée méritent bien que son histoire soit préservée. Son histoire si haute en couleur, où les rues portent des noms si beaux, évocateurs de tant de ce passé qu'on aime à retracer et du quel je me suis tout de suite imprégnée. A cet instant, je me revois à l'âge où nous murie la vie et nous offre de porter ses fruits. S'éveillent alors en moi des instants de pur bonheur où mon esprit vagabondant, je remontais sans peine la rue Trétaigne, traversais la rue Marcadet avant de m'engager rue Cyrano de Bergerac avec ses escaliers, pour déposer mon fils chez sa nourrice, puis longeant l'immeuble de la "Patay" je regagnais mon bureau située au premier étage du 114 de la rue Marcadet. Parfois lors de la coupure du midi j'allais faire un petit bisou à celui qui toute la matinée n'avait pas quitté mes pensées. C'est dur d'être une maman, ça tout le monde le sait !
Parfois lorsque le printemps me donnait des ailes, si j'avais un peu de temps et de liberté, remontant les escaliers, je traversais la rue Francoeur, longeais la rue des Saules jusqu'à son confins avec la rue Cortot à l'endroit où elle prend des allures de fort baigné de verdure. J'admirais ses grappes de feuillage, lierre, vigne vierge chèvrefeuille si odorant, jasmin, et autres végétaux qui me donnaient un air de campagne, de vacances et de bonheur. Une irrésistible envie d'être heureuse, et je l'étais, respirant à pleins poumons la fraicheur printanière. Si la brise légère venait aussi me caresser les épaules, alors il n'y avait pas de doute, le paradis, c'était ici. Je prolongeais mon enivrement quand je passais devant la porte du Musée, admirant les belles façades, les belles maisons, les arbres, tout n'étant que beauté ! Repue de verdure et d'effluves familières, je regagnais mon bureau en redescendant la rue du Mont Cenis jusqu'à la mairie pour me rendre à la bibliothèque tout prés. Là, je savais trouver livres et disques que j'empruntais afin de faire découvrir au "Petitou" les répertoires les plus variés.
A mon retour dans le service, Guy, mon collègue me demandait toujours ce que j'avais trouvé. De longues discussions s'en suivaient où nous évoquions tel ou tel aspect de la société. Que de beaux moments nous avons partagés ! Une belle amitié en était née et par la suite, ce sont plus que ces échanges verbaux que nous avons partagés.
Il était devenu l'ami, le confident, il n'était plus le simple collègue. Je fis la connaissance de Michèle son épouse, de ses enfants un peu plus âgés que le mien. Il connaissait déjà mon mari pour être collègue aussi. Tous deux aimaient bricoler, jardiner, leurs passions se rejoignaient et c'est tout naturellement que nous partagions des repas chez l'un ou chez l'autre, pour un coup de main que l'un ou l'autre sollicitait. Quand nous avons acheté notre maison à la campagne, il nous a cédé un vieux meuble qui l'encombrait. J'ai toujours dans ma maison, cette vieille commode qu'il m'avait donnée. Ce meuble, témoin d'un lointain passé, je ne m'en séparerai jamais. Il a tant d'histoire, tant de souvenirs lui sont liés ! Il a déménagé si souvent. Il a traversé la Méditerranée, venu d'Alger avec les parents de Michèle, pour se poser dans un appartement de Pantin, reparti en Charentes , puis revenu avant de faire escale en grande banlieue dans notre campagne de l'Yonne) pour finir en Limousin, (où il héberge toujours photos, matériel divers et choses variées). Son dessus en marbre est fissuré, il est écorné, le plaqué de ses portes en bois de rose se décolle, les chats contrariés ne manquent pas d'y marquer leur territoire. Mais j'aime sa solidité, son esthétique et sa commodité.
Il y avait aussi quelques dimanches où nous prenions le temps d'une balade, arpentant les rues et les ruelles du vieux Montmartre, avec les enfants, histoire de découvrir ensemble à quoi ressemblaient ces lieux dont les noms nous avaient fait rêver : Le chat noir, la grange au bouc, le lapin à Gill, le sanglier bleu et les 2 ânes, tous nous évoquaient nos origines parmi nos prairies, nos champs et nos forêts.
La rue St Vincent, la rue des Saules et la rue Cortot, avec les vignes du Clos Montmartre nous parlent du passé vigneron de la butte, comme d'ailleurs d'autres rues, telle la rue de l'Abreuvoir, où l'on allait naguère, faire boire les boeufs, la rue Fontaine du Buc, la rue du Chevalier de la Barre, la rue du Ruisseau, la rue Burq (qui abrita pendant quelques années les locaux de radio Montmartre), la rue Ravignan la rue Bonne et de la Fontenelle nous disent dans leur nom, le temps où Montmartre était un village comme j' en avais connu autrefois, avec sa vie des champs, ses vignerons, ses paysans. Ses lavandières, ses ravaudeuses. Petit peuple allié au grands destins, les plus fous, les plus tragiques comme les plus glorieux qui nous invitent à la connaissance, à l'ouverture d'esprit, mais aussi à la richesse culturelle tant elle est variée. Architecture, peinture, sculpture, musique, littérature, chansons et poésies, cinéma, théâtre Montmartre a son histoire, sa commune, sa république. Oui, bien sûr. Plus qu'à tout autre quartier, j'y suis attachée.
Côté travail, parlant de "la Ré", ce bistrot qui faisait l'angle des rues Duhesme et Marcadet, je rouvre une autre page de mon histoire avec la butte, c'est là que les équipes se retrouvaient pour un café avant de se répartir sur les quartiers d'intervention, découpés en îlots. A une époque de ma carrière, je faisais partie des"petites mains" qui préparaient le travail des îlotiers. La rue Cortot, c'était l'îlot A, c'est Bruno qui s'en chargeait. Cette rue me fait penser à lui. Lui aussi était un ami.
Parfois je rejoignais les équipes à leur QG, souvent c'était par gros temps, quand le bateau tanguait. Et des tangages, il y en eut en quinze années. J'étais représentante syndicale, je n'allais pas les laisser tomber. Je me souviens de nos discussions sans fin autour d'un casse croûte improvisé, les jours de grève avant de partir en défilé rejoindre le départ du cortège de la manif où nous étions tous rassemblés. Les équipes étaient solidaires, le bon esprit qui les animait rendait les choses plus faciles que dans les services arrières bien que l'esprit "Montmartre" comme on disait se caractérisait par cette solidarité que bien des autres centraux Parisiens nous enviaient.
Avec recul, aujourd'hui, je peux dire que le bonheur m' a longtemps accompagnée. Cette période de ma vie professionnelle comme de ma vie affective en est toute imprégnée.
Oui, pour moi, Montmartre n'avait pas qu'un arrière goût de village de campagne, c'était beaucoup plus profond. Amitié, solidarité, fraternité étaient le reflet de ce qui façonnait cette butte. Ce qui fut l'esprit des Communards. Ce qui fit des petits Poulbots à l'esprit espiègle, vif et taquin. Ce qui me réconcilia définitivement avec la vie citadine alors qu'elle n'était pas faite pour moi. J'aime Montmartre, ses évocations picturales de toutes ses rues. J'aime son histoire. J'aime son passé. J'aime tous ces gens qui l'ont façonnée. J'ai aimé y vivre. Montmartre a su m'apprivoiser.