La vieille.


Il était une vieille dans le pays d'où je viens. Une vieille que les gens n'aimaient pas.
Elle avait pour toute fortune, une vieille bicoque encore plus vieille et branlante qu'elle, un menu courtil qui lui permettait guère que l'entretient d'un carré de choux verts et de deux ou trois poules qui picoraient par les charires. Elle avait aussi une vache, une vieille carne qui n'avait que les quatre montants et dont le boucher ne voulait pas. Comtesse s'appelait-elle. Elle paissait par les chemins, allant d'un couder à l'autre, pendant que la vieille ramassait un fagot de genet, par ci par là. Les gens et leur chien chassaient la vieille, mordaient la vache et leur lançaient des pierres, mais la vieille tenait bon et ne répliquait pas. Quand elle rentrait chez elle, elle attachait sa vache sous l'appentis qui lui servait de toit, allumait sa cheminée pour chauffer le chaudron, puis elle allait mi trottinant mi boitant cueillir quatre feuilles de choux pour tremper son bouillon. C'est alors qu'une fois ses menues tâches accomplies qu'elle s'occupait de la Comtesse pour lui soutirait quatre goutes de lait. Le lendemain recommençait avec la même constance, rythmée par les mêmes gestes au fil de la journée. Monotone et tranquille, un jour poussant l'autre, se déroulait le temps. La  vieille sortait sa vache de dedans son étable et l'emmenait par les chemins. "Mandso ma Comtesse, Mandso" lui disait elle, tandis que sur leur passage, bêtes et gens se déchainaient sans fin, insultant l'une et brusquant l'autre. Mais la vieille imperturbable continuait inlassablement... "Mandso ma Comtesse, Mandso," et regardant en direction des chiens et des gens, " sabé pas quié te mandsara".



Et M....

Et Merde ! Voilà !.... Je ne sais pas comment m'en sortir de tout ce fatras, entre : le chantier de rénovation qui n'avance pas. entre le bordel dans mes photos et mes dossiers qu'il faudra bien un jour que je trie. Entre le soleil qui brille et qui m'invite à la balade sous un ciel serein (encore des photos à faire, à trier, à classer, et Merde !). Entre des textes à écrire et mes livres en chantier qui n'avance pas, entre mon arbre généalogique qu'il faut que je finalise si je veux qu'il serve à quelque chose et surtout à quelqu'un. Entre mes activités de militantes qu'il faut bien que j'assure si je veux qu'elles servent aussi à quelque chose et surtout à quelqu'un. Entre mon jardin qu'il faut bien que j'entretienne si je veux..., entre le ménage et la cuisine, entre les lessives et les courses, bref, les choses à faire ne manquent pas. C'est le temps qu'il nous reste qui manque parfois.
Je suis dans des dispositions médiocres pour parvenir à tout concilier, aussi je n'y parviens pas. J'ai entrepris un voyage dans mon passé. Peu de choses me restent. Quelques photos, des lettres, des clichés, des souvenirs. Mes lettres, précieusement gardées dans une vieille boite de madeleine Bijoux. Je les ai passé au crible dernièrement. Que de souvenirs soudainement retrouvés. Que d'émotions longtemps gardées. Mieux que des discours. Elles sont la véritable preuve de ce que furent toutes ces années passées, de ces choses partagées et qu'on aimerait longtemps garder. plus longtemps encore que les souvenirs eux mêmes, car bien plus précises et pas diluées par les années. Je les ai donné à lire à ma Ponette. Elle m'a renvoyé aussitôt lu, les émotions qu'elles avaient suscité. J'ai bien fait de me lever ce matin !
Et puis il y a tout ce que je n'ai pas pu dire et que je tente d'écrire. Tout ce que j'ai envie de dire et d'écrire et qu'il faut que je fasse tant que j'en ai le temps, la force et l'envie, avant que je sois moi aussi rattrapée par l'horloge au cadran dont les aiguillent ne sont jamais reculées, pas comme celles de nos pendules qu'il va falloir une fois encore avancer. Chaque année, deux fois par an. Chaque fois on nous dit que c'est la dernière et pourtant depuis 1976, ça fait souvent deux fois par an. L'heure Allemande, comme disaient nos vieux, n'en fini pas de perturber nos organismes, mais qu'importe et en dépit des votes (puisqu'on nous le demande !) chaque fois on recommence la même sérénade.
Aparté faite de ce détail insignifiant dans nos vies,  au regard de la santé du monde, j'aimerais vous parler de choses gaies, si seulement il s'en trouvait ! au moins une ! Même pas !
Je voudrais vous parler s de quelque chose qui me rendrait la joie si j'y croyais un instant. Un instant seulement. Mon fils va changer de travail. Pour une entreprise plus importante que la sienne. La SNCF, du moins une de ses filiales. Seulement, moi, qui ai oeuvré 40 ans durant dans une entreprise similaire, j'ai des doutes. Beaucoup de doute. Le seul que je n'ai pas, c'est d'avoir à faire à une machine à broyer. Et ça ... Je ne sais pas si c'est un bon ou un mauvais plan. Un bon ou un mauvais choix. J'ai des doutes. Je suis triste. Je suis triste parce que, la boite qui l'emploie actuellement n'est pas une entreprise capitaliste cotée en bourse, inscrite au cac40. Faite de bonnes volontés et de compétences, d'hommes et de femmes ordinaires qui n'ont pas traversé la rue pour se retrouver sur un perchoir, de gens honnêtes et travailleurs qui ont mouillé la chemise pour maintenir à flot une  entreprise à laquelle le système économique qui est celui que l'on sait, ne fait pas de cadeaux. Une entreprise qui ne peut compter que sur son savoir faire, son expérience et sa bonne volonté, et non sur une part, même infime des 80 milliards du CICE.  Une entreprise vouée à l'échec à plus ou moins long terme, tant la lutte est inégale.
Je suis triste au point que j'en chiale, tellement notre monde est pitoyable !
 Je souhaite de tout mon coeur qu'elle puisse encore avoir sa chance, cette entreprise, à taille humaine, où l'homme est considéré comme il devrait l'être, et respecté.
Pas sûre que si j'avais eu à choisir, j'aurais fait le même choix que toi mon petit. J'espère sincèrement que tu ne le regretteras jamais. Mais j'ai des doutes, beaucoup de doutes....

 Aller on s'arme, parce qu'aprés tout ça, il va falloir de la ressource pour résister et continuer à avancer !

Il est parfois des hommes...







"Il est des hommes, lorsqu'on les aborde, avec lesquels les approches, les temps morts qu'exigent les règles de politesse, n'ont pas de sens, parce que ces hommes vivent en dehors de toute convention dans leur propre univers et qu'ils vous attirent aussitôt."

Je dois dire que lorsque je l’aperçu,  ce fut la première pensée qui me vint à l'esprit. Il était si beau, si digne, si lumineux  dans son maillot de champion de France. Je n'osais l'approcher. Je me tenais là, béatement devant ce podium où une jolie blonde (je ne sais pas pourquoi, elles sont tout le temps blondes et jolies par dessus le marché !) venait de lui remettre le bouquet du vainqueur. Je n'osais parler, n'osais qu'à peine le regarder. 
Quand il descendit la première marche  et se plongea dans la foule où embrassades et accolades le congratulaient, je me tins à l'écart pour ne pas l'importuner. Je le suivait des yeux, ébahie que j'étais. Je tentais de le suivre à distance, mais la horde des spectateurs en délire m'en empêcha.  Quand il regagna son hôtel, je n'étais qu'à deux pas, il m'aurait suffit de traverser la rue pour me jeter dans ses bras. Il était tellement beau et moi tellement timide, que je le regardais furtive sans me décider à franchir le pas.  La vie passa ainsi sans que je sorte définitivement de ce rêve. Mon beau champion accrochait toujours mon regard. Je suivais toutes les courses aux quelles il participait. Je fis des kilomètres, traversais des villes où j'aurais pu éventuellement le rencontrer. Je me fis muter dans celle où je pensais qu'il résidait. Mais mon rêve restait un rêve, sans que je puisse le contrôler. Je l'aimais. Je fis une grosse dépression lorsque j'appris par la presse qu'il venait de se marier. Mon rêve fou venait de s'écrouler.  Comment aurais je su alors que ce champion allait croiser ma route quelques années plus tard, dans un train de banlieue ?  
C'était bien longtemps aprés. Pour Noël. Mon mari et les enfants étaient partis en vacances chez la grand mère. J'étais restée seule, n'ayant pu avoir de congés. La veille j'avais passé la soirée chez une amie, dans la banlieue voisine. Elle avait, elle aussi, sa semaine, comme beaucoup de mes collègues. Le train que j'empruntais avec son compartiment réservé aux habitués, était presque vide. Françoise, mon amie prenait toujours ce train, elle retrouvait là Jocelyn le joueur de cartes, Geneviève la tricoteuse du soir, Véronique la maman abandonnée par son homme avec son bébé de 18 mois et toute une ribambelle de gens qui dés le matin faisaient un joyeux rafût auquel tout le compartiment joyeusement s'associait. Mais en cette période, la plus part n'étaient pas au rendez vous. Je m'asseyais donc à la place habituelle, celle que j'occupais traditionnellement  quand je rentrais avec mon amie. Parfois mon beau champion était à bord du train, il lisait l'équipe qu'il avait déplié en coin. Parfois il n'étais pas là, mais je cherchais des yeux sa haute silhouette dont l'aspect rassurant dominait toute la foule de banlieusards encore vaguement endormis.
 Depuis quelques jours, je m'arrangeais pour me trouver à bord du train de 8 heure 30 où je pensais qu'il serait. Peu à peu je m'enhardissais. J'osais même choisir une autre place, plus proche de celle qu'il avait l'habitude d'occuper. C'est alors qu'il m'aborda. Comme si lui aussi attendait ce moment dans des conditions plus intimes, pour engager la conversation. "C'est calme ces temps ci." Me dit il. 
Rouge comme un coquelicot, je dus bafouiller une stupidité quelconque, qu'il eut la délicatesse de ne pas relever. Ainsi la glace était rompue. Je passais prés de lui les dix meilleures années de ma vie. Cela aurait pu continuer, mais... le sort en décida autrement. Mon beau champion quitta cette terre bien trop tôt, me laissant désemparée. 
Quand j'y repense aujourd'hui, je me dis que la vie ne fait pas de cadeau. Parfois elle fait semblant pour reprendre aussitôt. Mais je garde en moi ces délicieux moments qu'avec lui j'ai partagé et je me dis que malgré tout cela valait la peine d'oser  franchir les lignes et qu'en dépit des règles et de toutes conventions,  s'il était à refaire, je referai ce chemin.



Silhouette.

Une silhouette dans la rue... qui attire votre oeil
Oui ? Sans en distinguer les traits,  mais en y projetant quelque chose ? Oui ?
J'avoue ne pas y projeter grand chose. Et pourtant, Lakévio attend nos délires, alors...

 Si sa jupe était plus longue... à la silhouette, pas à Lakévio, peut être y verrais je une de mes ancêtres. Eugénie ou Marie, ou bien Maria. Adélaïde, ou je ne sais pas ! Ce que j'ai remarqué en premier, c'est son nez. Un nez si grand qu'il doit servir de perchoir à bien des oiseaux. Un nez si grand que ce pourrait être la grand mère de Cyrano ou même de Pinocchio. Ou alors, tiens,  Mademoiselle Olombec au mariage de la soeur de Fernand.
Oui cela doit être ça ! Bien sapée, dans un habit élégant, sa pochette de cérémonie sous le bras qu'elle tient dans une main et dans l'autre un verre de curaçao, elle tourne et virevolte comme quelqu'un de moitié saoul. Ce ne peut être que dans une occasion pareille qu'elle s’enivre ! Peut être ! Parce que ça, je n'en suis pas sûre du tout. Elle a une couronne dans les cheveux, si ça se trouve, il y a des cerises aussi. Et dans ce cas, j'opte définitivement pour... Mademoiselle Olombec !

Enfin, je dis ça parce que je ne sais pas vraiment comment tourner le sujet sur ma feuille.
Une silhouette floue, c'est un peu ce qui me reste quand je pense à avant. Avant, c'était le temps où nous étions enfants, ensemble, en Auvergne. C'était le temps où nos vieux nous écrivaient de longues lettres qu'on avait plaisir à lire et que j'ai gardé. C'était aussi le temps de l'insouciance et où on ne comprenait pas tout, et loin s'en faut, déjà que maintenant on ne comprend pas grand chose non plus. C'était le temps d'avant quand nous étions heureux et que nous ne le savions pas. Ce flou, c'est tout ce temps qui a passé, qui nous a laissé un gout amer ou des larmes qu'il a fallu sécher.
Silhouette de toutes ces femmes qu'on a connu et qui nous ont façonnés. Tous ces hommes aussi.
Ceux qu'on a imaginé, ceux qu'on a aimé ceux qui nous ont accompagné et qui aujourd'hui ne sont plus. Le flou c'est le temps qui passe, la vue qui se brouille, les yeux qui se mouillent.
Je pense à eux, cette image est leur contour qui s'envole à mon insu. Cet image floue, c'est tout ce qui me reste de vous, quand je me perd au détour de ces chemins que nous avons ensemble parcouru.

La pompe aux pommes.

Donc, pendant que le Patou ronfle à perdre haleine, je m'en suis allé peler les pommes. Dépliée la pâte a été recouverte de pommes "court pendues", oui, oui, parce que la variété c'est la moitié de la réussite de la pompe aux pommes. Donc des court Pendues, trés bonnes car acidulées, parfumées malgré la saison avancée, bien conservées (c'est une pomme de garde, la court pendu), vous ne savez pas ça vous autres, gens de la ville, mais dans le temps on conservait les pommes dans un endroit frais et sec et elles duraient jusqu'à la saison nouvelle, foi d'animal ! Donc je les ai pelées, puis mises en quartier sur ma pâte recouverte d'une autre pâte et maintenant, pendant que ce bougre de Patou ronfle toujours à perdre haleine, elles cuisent ! C'est la Ponette qui va se régaler tout à l'heure ! avec un bon poulet que j'ai choisi de chez un éleveur du coin, assez proche de ce qu'étaient les poulets de la ferme de dans les temps et que je vais faire mijoter à la cocotte, avec du thym et du laurier. un poulet élevé au grain et qui courre dans les coins, pas dans une batterie, si tant est qu'il puisse y courir dans une batterie !  Y pourrir plutôt, oui. Avec ça je servirai des branches de céleris avec des carottes et un bouillon cube de chez maggie. Un bon fromage de la ferme comme ceux de la mémé Simone et ma pompe aux pommes. Voilà, voilà.
 J'adore la Pompe aux pommes. Parfois je fais la pâte moi même, mais là j'ai choisi de la pâte feuilletée que je ne fais pas. pourtant ce n'est pas compliqué à faire la pâte feuilletée !


Le 8 mars

Ah, oui ! c'est la journée de la femme ? A bon ? Pas remarqué !
 Ce matin, ménage en grand. Course au pain. Lessive dominicale parce qu'il ne pleut pas.  Sinon, 15 h 40, c'est l'heure à laquelle une femme employée dans les mêmes conditions qu'un homme, pour une journée de 8 heures, cesse d'être payée. Je suppose que c'est tous les jours, pas qu'aujourd'hui. Finalement l'égalité salariale, c'est comme l'Arlésienne, plus on en parle moins on ne la voit ! Bref, manif tout à l'heure avec foulards violets. Déjà, moi, je suis contre le foulard violet, ça fait veuve joyeuse aurait dit ma mère. Et puis 15 h40,  je ne sais pas où je serai à 15 h40 ! Peut être en promenade. Peut être entrain de faire autre chose, allez savoir ! De toutes façon, je vous le laisse le 8 mars, je prends les 364 autres jours.
 Demain en sera un autre et je compte bien en profiter.
Sinon je rends hommage à toutes ces femmes qui pour certaines ont donné leur vie pour qu'enfin on soit respectées. Pour en finir avec ce monde dominé par un patriarcat machiste. 
Cette journée trouve  ses racines dans les luttes menées par les ouvrières du textiles New-Yorkais dans les années 1850. A cette époque, elle travaillaient 16 h par jours pour des salaires  n'excédant pas 4  dollars par semaine. Leurs conditions de travail étaient déplorables. Déjà en 1835 à Philadelphie, elles obtenaient la journée de 10 h après une lutte admirable  et une grève qui dura plus de 3 semaines. 5 ans plus tard, en 1840, les syndicats les obtenaient pour tous les employés  du gouvernement fédéral. En 1857, les confectionneuses descendaient dans la rue pour obtenir   les mêmes salaires que les hommes, ainsi que des conditions de travail dans des locaux mieux adaptés  (pièces saines et claires, par exemple).
 Au soir de la journée du 8 mars 1857, elles firent la promesse de se retrouver chaque année à cette date.
Il faudra attendre 1910 et la deuxième conférence des femmes socialistes où une centaine de déléguées venues de 17 pays sont réunies,  pour que  Clara Zetkin propose une résolution afin que soit organisée dans chaque pays une journée internationale de lutte pour le droit des femmes.
Dés 1911 cette journée connait un grand retentissement en Allemagne, en Suisse, en Autriche, au Danemark et aux Etats-Unis.
En 1912, la France, les Pays Bas et la Russie la célèbreront à leur tour. C'est par millions que les femmes ouvrières portent l'exigence de meilleurs salaires, d'égalité des droits, en particulier celui de voter, d'adhérer à un syndicat, d'avoir  une protection de la maternité, de ne pas travailler le samedi, d'avoir une durée maximum de8 h par jour, etc ...
Parmi tous ces droits, combien sont menacés aujourd'hui ! par exemple   le travail du samedi et du dimanche touche bon nombre de femmes salariées du commerce en particulier. D'autres droits chèrement acquits comme le droit à l'avortement sont remis en cause dans bien des pays. Dans beaucoup d'autres, ce n'est même pas la peine d'en parler. Beaucoup de chemin reste à parcourir partout dans le monde, y compris dans nos propres pays occidentaux et en France pour ce qui nous concerne. Par exemple, le montant des retraites pour les femmes en France est inférieur en moyenne de 38% par rapport à celles perçues par les hommes.
Alors le 8 mars 15 h 40 ou un autre jour à n'importe quelle heure, la lutte des femmes prend tout son sens et ne doit souffrir d'aucune restriction.

Le civet de ma belle mère.

Bien bien. alors hier était un autre jour. Aujourd'hui le vent emporte tout sur son passage. Parfois il pleut. J'ai bien appelé ma Ponette pour voir comment elle allait, mais son irrésistible besoin de paresser en pyjam' m'a tout de suite renseigné sur la façon dont la suite de la journée allait se dérouler. Face à une telle adversité, je suis  donc reparti mastiquer mon civet d'enfer  que le Patou rapporta jadis de chez sa mère. Déjà hier, nous l'avions servi à table. Mais un civet comme chacun le sait se mange réchauffé. Plus il mijote plus il est goûtu.
S'il se mange réchauffé, il se mange aussi parfumé. Et celui de bonne maman, demandait à être bonifié (elle ne sait pas faire le civet, elle !) j'ai donc rajouté à la sauce : vin en quantité,  romarin, thym, laurier, poivre et sel, toutes choses qu'il manquait. Par contre je n'ai pas pu enlever les carottes qui  déjà cuite confèrent un gout sucré à ce plat que ma propre mère réussissait à merveille.
Qui n'a pas gouté au civet que faisait ma mère ne peut pas savoir ce qu'est la finesse, le parfum, la saveur, la délicatesse subtile d'un tel met. Elle le laissé mitonné des heures sur le coin du vieux fourneau à bois. Rajoutant par petites touches les ingrédients qui allaient se marier au font de la vieille cocotte en fonte et bonifier la sauce au sang, mélangé au vin rouge léger, au thym, au serpolet, au laurier et au roux qu'elle avait préparé.
Maman n'était pas une fine gourmet, et se satisfaisait du peu qu'elle trouvait,  mais pourtant, même le lard qu'elle nous préparait avait un gout particulier : celui de l'amour qu'elle nous donnait. Je ne vous parle même pas de ses pommes de terre au four, ni de son ragout cuisiné avec la pointe des côtelettes du cochon que nous avions engraissé. Pas plus que du boudin savoureux, léger, affiné avec une touche légère de crème fraiche récolté sur la biche (la biche, le bichou, sont des récipients en gré où étaient stockées les denrées) aprés la traite de la veille pour qu'elle ait bien le temps de monter,  à cela elle ajoutait un peu de persil haché et de petits, tout petits bouts de poireau et d'oignon qu'elle avait mijoté. Quand nous tuions le cochon, c'était elle la préposée à leur fabrication. elle mettait sur le feu la grosse marmite noire où cuisaient d'ordinaire les pommes de terre qui servait à engraisser le porc avant de cuire ses boyaux. Dans cette marmite, qu' elle avait remplie jusqu'au tiers, elle ajouter un lit de paille sèche sur lesquels reposaient les boudins. Ceux ci mijotaient lentement , lentement, toute une aprés midi. En fin de journée, elle piquait une aiguille à tricoter dans le boudin pour en vérifier la cuisson. Et ceux ci étaient prêts à être consommés. Chacun des voisins venus en aide repartaient avec sa part. Il y avait là l'Antoine de Parel, le tonton Charlot bien sûr, puisque c'était lui le saigneur, le Marcel, parfois qui venait en renfort, et bien sûr ce trop de Roger avec le Lucien, son père, qui repartaient avant car il y avait les vaches  panser. Le lendemain matin, nous portions la grillade chez la Francine, vu que le Roger n'avait pu l'emporter, chez l'Odette et le Marcel, chez le Charles de Lospeux, mais ça c'était en dernier, car il était vieux, le Charles  et mon père et ma mère veillaient sur lui comme sur une couvée.
J'ai oublié de vous dire qu'avant de mettre les boudins dans la marmite, pendant que l'eau chauffait, maman avait mis le sang du cochon à  tiédir sur le fourneau avec un oignon piqué de clous de girofle. C'est pour ça qu'il était bon son boudin !

Nostalgie...

C'était samedi. Un samedi ordinaire où tous en famille on venait de terminer de déjeuner. Après avoir regardé Petit Poney faire la vaisselle, plus que de l'avoir aidé, nous partîmes en balade profiter du soleil et de la belle journée. Des chevaux galopaient au milieu des prés. Un chat blanc et roux se frotta aux jambes de la Ponette, un chien baveux vint enlacer Petit poney qui ne sachant plus comment s'en défaire, choisit de le laisser l'embrasser. Mes belles Rousses  au poil frisé pâturaient une herbe rase et sèche où la motte affleurait.


Quand nous revînmes au logis, le Patou et son fils avaient quitté les lieux.
A peine quelques minutes  aprés notre retour, le Patou revint de chez Casto ou Brico, où mécano, ou je ne sais trop quel mot en o dont il est familier. Le grand air lui faisant défaut, il partit au jardin. La lune ayant terminé son noeud, (il ne faut pas jardiner si noeud lunaire il y a, c'est le précis du guide Clause qui le dit, alors !) il sema ses petits pois. Dans quelques mois, nous allons donc pouvoir manger autre chose que les balles de fusils que j'ai acheté chez Grand Frais et qui ne voulait pas cuire !
Mais pourquoi je vous raconte tout ça, moi ? Je voulais juste vous dire que j'étais contente d'avoir mes petits et que je fus trés triste quand ils sont partis !
Ben oui,  Poney et Ponette de leur côté et mon grand chez lui, là bas, dans mon pays.
Mais pourquoi ils me manquent tant ?
Du coup j'en ai profité pour terminer le pull de la Ponette. Je l'ai même lavé  et même qu' un orage de grêle (giboulées de mars !) s'est chargé de le rincer copieusement.
Comme d'habitude quand je mets mon linge dehors, il m'arrive des bricoles. Si ce n'est pas les voisins qui l'enfument, ce sont les paysans qui le parfument et là madame est servie ! purin d'un côté, matières plastiques carbonisées de l'autre, cachés dans un recoin du hangar de l'empereur, verts résineux qui fument à profusion sur le terrain squatté par le marquis, et dont le vent transporte les cendres  je n'ai plus qu'à recommencer et faire sécher à l'intérieur ! le comble quand il fait beau. Donc hier, le voisin au boulot, le marquis dans sa tour, ne restaient plus que les paysans qui avaient déjà fumé leurs prés,  j'ai tenté mes lessives, pas de bol, grosse pluie abattit grand vent. Qu'importe nous sommes tous en vie !
 Samedi c'était aussi un anniversaire. 28 ans qu'il est parti. C'était un deux mars. Je ne l'ai pas oublié. Tous les détails encrés dans ma mémoire. Les larmes. La douleur. La séparation. Le retour à la maison. Les volets fermés oubliant que  la vie continuait. Tout. J'ai tout gardé.
28 ans aujourd'hui qu'il repose dans son dernier habit.

Sous un soleil radieux, nous l'avons accompagné. Le fourgon marchant premier, ma soeur aux premières loges. Nous derrière. Arrivés au tournant des Bèzes, de gros sanglots montèrent en moi. C'est alors que je réalisai que pour lui, c'était la dernière fois. Lui qui tant de fois avait franchi ce tournant, tant de fois gravi la rude côte qui monte aux champs de la Bugette puis s’adoucit jusqu'au Lavadour pour remonter sur quelques mètres jusqu'à  la route de Lospeux. Passant par la Pinatèle où il fallait faire la trace les mois d'hiver tant la neige était épaisse. Nous avions choisi cette fois de passer par le moulin de Géry, nous n'étions pas pressé de l'emmener et voulions rester le plus longtemps possible derrière lui. Lui qui tant de fois nous avait montré le chemin. Tant de fois nous avions mis nos pas dans ceux de ses sabots ! Lui qui disait toujours avec regret et contrariété : 

"Il faut  encore que je passe le premier"

Une fois de plus, il est parti d'abord. Laissant la Francine loin derrière lui. Ils étaient du même age.  Non.  Elle avait un an de plus.
Non je n'ai rien oublié.
Hier son premier petit fils avait 40 ans. J'y ai pensé toute la journée, mais ce n'est que ce matin que je lui ai envoyé un message pour lui souhaiter.  "Bon anniversaire, mon grand". Je sais que tu ne me liras pas. Mais je pense quand même à toi.
Bisous, si quelqu'un me lit et le lui dit.

Il était une fois.