Et bien, voilà quelque chose de bien. Figurez vous que ce midi, autour d'un pot au feu maison, comme maman aimait les faire, un morceau ou deux morceaux de viande dans les bas morceaux parce que ça coûte moins cher, une peu de poireau, quelques carottes, une branche de céleri, un navet, un rutabaga soustrait à la ration de vaches et des cochons (ils ne nous en voudront pas !) un peu de persil, de thym et de laurier cuits pendant plusieurs heures (elle, sur sa cuisinière à bois, moi sur le gaz vite fait bien fait, en gardant le bouillon pour le soir pour une bonne soupe de vermicelle, comme on l'aime avec un peu de crème fraiche ou de bon vin rouge , mais à la crème c'est bien meilleur), nous devisions, le Patou et moi.
De quoi, parlions nous ? De choses et d'autres, entre autre de souvenirs heureux. Moi, ce sont ceux de ma frangine au multiples pépés. Le Charles de Baye, qui n'habitait pas à Fournols, parc que la Marguerite, comprenez vous, n'aurait pas vu d'un si bon oeil que ça, la fréquentation avec son époux, le pépé Labaye, (que je ne sais même pas comment il s'écrit), qu'il partagea quelques canons ; son vrai pépé, qu'elle n'a jamais connu, sauf en images et en témoignages, parce que lui partit en 59 et qu'elle vit le jour en 60. Le pépé Jean, bien entendu, dont le brave curé Joubert leur révéla à tous, un jour de catéchisme, la cruelle destinée, mort seul et oublié de tous retrouvé longtemps aprés, dans les décombres de sa maison, dont tout s'effondra, ne laissant qu'un trou béant au fond d'une cave humide. Et puis le Charles, notre brave Charles, trouvé derrière sa porte, par le facteur, inquiet de ne pas le voir depuis plusieurs jours, à demi mangé par son chien. Ah ! elle en avait des pépés, notre petite soeur ! Trouvée, elle aussi au bout d'une semaine, gisant dans son sang et ses excréments, un soir de juillet, où il faisait trés chaud. Je me souviens bien de la dernière fois que je la vis. C'était une petite quinzaine avant le drame. Elle était tombée et présentait de multiples hématomes. Je lui demandais de prendre d'urgence un rendez vous avec son médecin. J'aurais dû le faire à sa place, n'évaluant pas le stade auquel elle se trouvait et c'était un dimanche, le lendemain, lundi, mon frère s'en occupa. Le lendemain, en effet, il la conduisit chez son médecin, qui programma une série de soin à domicile qu'il se chargea de réaliser. Pendant une semaine. Puis, pris par d'autres tâches, il relâchât sa vigilance, qui pourrait le lui reprocher ? De mon côté j'étais repartis comme j'étais venue, laissant lâchement à d'autres, le soin de s'en occuper. Elle m'avait dit alors, ne t'inquiète pas, je sais comment ça finira. Mais elle le disait à chaque fois, depuis plus de dix ans, alors ? Et Puis je serais débarrassée. Tout cela aurait dû m'interpeler, m'inquiéter, me pousser à réagir. Elle ne voulait qu'une chose, rejoindre sa petite soeur, dont elle disait toujours, "c'est pas juste, c'est moi qui aurait dû partir à sa place et elle, rester auprés des siens".
Je ne sais pas si un jour je me remettrais de ce drame, ce que je sais, c'est qu'elles me manquent cruellement, toutes les deux, les deux plus jeunes de la fratrie. Il n'y a pas d'ordre, et souvent les derniers sont les premiers. Une chance ou pas, je suis la première. J'appréhende et ne le voudrais pas être la dernière.
Je ne sais pas trop pourquoi j'écris tout ça , ni pourquoi je vous le raconte ici. C'est sans importance et ne reflète que mon état d'esprit. Sans doute ne sommes nous pas ce que nous croyons être. Ni même à l'image que nous entendons donner aux autres, de nous même, toujours faussée par l'illusion d'un paraitre avantageux, toujours cherchant à se valoriser, plutôt que d'accepter d'être ce que nous sommes. Nathalie, souvent me reprochait d'enjoliver les choses, lors de mes écrits. "Tu essences toujours notre père, mais saches, qu'il n'était pas l'homme que tu décris. "
?
Et non, les souvenirs des uns ne sont pas ceux des autres. J'étais la première, elle, la dernière, entre nous, treize ans nous séparaient. La vie, le temps, ont passé. Il en faut moins que ça pour que le temps fasse son oeuvre. Mon père, je ne l'encense pas, j'en ai le souvenir d'un homme jovial, farceur, plein d'humanité lors de mes premières années. La maladie, les difficultés de vivre, de faire face au quotidien en ont modifié le caractère. Mes perceptions de cet homme ont alors évoluées. Il a fallu se battre, contre le sort, contre l'injustice, contre les mauvaises années, les mauvaises récoltes, la pauvreté. Faire face jour aprés jour à une réalité faite de précarité, d'incertitude. Les maladies bovines qui ont décimé les troupeaux, le vent, la grêle, le froid, ou le chaud, déjà en déséquilibre sur une planète déréglée. Le remembrement, voulu par les puissants désireux d'accroître leur patrimoine au détriment des plus petits. La disparition programmée des petites exploitations au bénéfice de plus grandes, toujours plus grandes et d'une agriculture toujours plus productive, il a fallu y faire face et résister. Avaient ils le choix ? L'histoire, malheureusement, nous démontre que non, ils n'avaient pas le choix. Gourdenec avait raison, tout comme ceux qui dans son sillage, ont relevé la tête et fait front. ici. Je me souviens revoir mon père l'oreille collée au poste de TSF, écouter sans en perdre une miette, les évènements qui retransmis à la radio, nous parlaient de la lutte de ces paysans Bretons, la même partout sur tout le territoire et même bien au delà de nos frontière pour défendre leur terre et avec elle, à travers elle, leur condition et l'avenir de leur profession. Une autre conception (l'avenir aussi nous a donné raison) de l'avenir de nos générations futures, comme le reprennent les divers conceptes de l'écologie aujourd'hui, la bobodisation en moins.
Oh, il n'a pas toujours été tendre, notre père, ni avec nous, ni avec nos animaux. Mais peut ont reprocher à quelqu'un d'avoir souffert dans sa chair, dans sa dignité, d'avoir un jour été blessé, lésé, dépossédé ?
Moi, à travers ses écrits, ses lettres qu'ils m'écrivait, il m'offre l'image de quelqu'un qui aimait ses enfants, qui nous aimait. N'est ce pas ce qui compte ? N'est ce pas ce que je dois retenir de ses actes ? Pardon pour les chats qu'il a blessé (il n'aimait pas les chats, enfin pas tous, parce que je peux vous certifier qu'il aimait mon gros Blanchou, mon gros Jaunet et la minette tricolore qui n'avait pas de nom, mais qui m'ont bercée de leurs caresses dès mon berceau, jusqu'à ce que le chien de la Clémence, cette maudite, qu'elle le soit, cette cruelle, la garce, pour tout le mal qu'elle leur a fait, rendant responsables de ses p^ropres fautes, tous ceux qui l'entouraient, ne nous les tue devant le soupirail de la cave, qui en hiver était fermé. ) Quand la patience paie un tribu, lourd, à la résistance, nul ne peut garantir qu'une fois les limites dépassées, on puisse résister à la vague fracassante de la nervosité.
Sans doute, excédé, il n'a pas toujours était trés juste, ce père qui aurait dû réconforter, aider, éduquer. Sans doute a-t-il failli de nombreuses fois à son devoir. Mais qui donc, plutôt que de lui jeter la pierre à cherché à l'aider ? Pareil pour notre mère. Ils ont fait comme ils ont pu, avec les moyens dont ils disposaient. Point. C'est tout. Je ne leur jetterai pas la pierre, ni aucune pierre. Je déplore juste ce qu'il en a résulté. Par contre, et ça c'est la vie qui me l'a enseigné : Ne nous pressons pas de juger, mais hâtons nous de comprendre. Cela me semble nécessaire, car rien ne nous préserve jamais ni des mauvais coups, ni des mauvais pas. Soyons et sachons le rester, humble devant l'adversité. Pardon Pour les victimes, sachons les aimer et les accompagner et s'il n'n'est pas encore trop tard, aidons les à avancer. C'est ainsi, c'est la vie. Personne ne choisi vraiment ce que sera la sienne. Les routes, les croisements qui composent notre destinée sont un hasard avec lequel nous devons composer.