Maria, une vie de servante.

Maria, je l'évoquais hier. Si j'étais experte en généalogie, j'écrirais ses mémoires. Je ne possède que quelques bribes de sa modeste existence. Celles que ma mère m'a léguées. Oh je sais, ce n'est pas rien. Mais pas assez pour savoir tout ce que j'aimerai connaitre d'elle, de mes grands parents, des leurs aussi. C'est ainsi qu'on est obligé de s'arranger avec sa propre histoire et de se confectionner "sa" mémoire.
Quand Maria Bory vient au monde, un 16 juillet 1878, le seul  à ma connaissance, gradué sur l'échelle du temps,  ses parents Charles Bory et Marie Françoise Pupidon sont mariés depuis le 13 janvier 1877. Un contrat de mariage est établi entre les époux, à la demande de Claude le père de Marie Françoise. Ce qui laisse supposer que certainement la famille de l'épousée est plus fortunée que celle du mari, simple maçon qui dû participer à l'instar des maçons de la Creuse, à de nombreuses campagnes de construction à Paris ou à Lyon durant la morte saison. Le couple s'installe à Charel, berceau de la famille Bory où vivent encore le père et un frère.
Après Maria, le 22 janvier 1881, vient un autre enfant,  : Claudius Antonin, mon grand père.
Le 19 mars 1883,  alors qu'il revient de quelqu'affaire sur les hauteurs d'Echandelys, Charles est malencontreusement détroussé par un bandit qui le laisse pour mort sur le bord d'un fossé. Quand le métayer de la ferme voisine le découvre, il est à l'agonie. Transporté jusqu'au domicile le plus proche, Charles s’éteint sur la table de la cuisine. il est 15 heure, (l'acte de décès mentionne 3 heure du soir),  Maria n'a pas 5 ans, son frère n'en a pas 2.
Commence alors pour les enfants et pour Marie Françoise une nouvelle existence, pleine de labeur.
Augustin le frère de Charles pourvoit comme il le peut à l'entretient et à l'éducation des deux orphelins. Avec l'aide de sa famille Marie Françoise qui est revenue au domicile de ses parents, se débrouille tant bien que mal. Achetant ici une terre, là bas un bout de taillis. De quoi faire vivre ses marmots. Leur assurer le quotidien.
Dès qu'elle le pourra, c'est à dire dès qu'elle en aura l'age, Maria sera placée dans une famille bourgeoise et pourvoira à ses propres besoins.
C'est une famille de notable qui l'emploie. Celle ci possède une résidence sur la commune d'Egliseneuve mais réside une partie de l'année à Clermont. Elle voyage beaucoup. Le général Bohër, un Alsacien, grognard de la garde de Napoléon III embauche définitivement  Maria qui devient servante, puis gouvernante pour les enfants. Son frère Claudius  se déplace de chantiers en chantiers sur Lyon. Il a appris le métier de maçon. Les deux se retrouvent parfois, au gré de leurs errances, en gare de Clermont. Maria attend son frère et ensemble il regagne la Vigerie où Marie Françoise attend. Quand elle décède, le 5 octobre 1916, c'est la guerre.  Claudius est au front. Par 7 fois il aura tenté de s'évader, par 7 fois il sera repris. Maria qui n'a plus que son frère vit au service de la famille Bohër
jusqu'à  sa retraite, qu'elle prend dans sa maison de Charel. Son frère marié, a deux enfants. Maria qui elle n'a pas de famille est aux petits soins. Ainsi Charles et Simone sont comblés par cette tante  providentielle qui connait le vaste monde, bien plus qu'Eugénie leur mère, modeste paysanne qui découvre par sa belle soeur le monde des lumières. Lecture, culture, tricot, broderie occupent les soirs d'hiver au cours de longues veillées. Claudius s'en va le premier des suite d'une mauvaise blessure de guerre. Son chien le Youki va mourir de chagrin, sur sa tombe. Ne reste plus que Pyram aux bons soins d'Eugénie. Quand elle meurt à son tour, les enfants sont partis. Charles vit sa vie de maçon, souvent il rentre tard, parfois il ne rentre pas. Simone est mariée, elle va bientôt être maman. Maria recueille Pyram qui va devenir son chien. Quand avec maman nous venons à Charel, nous venons voir Maria. Je ne peux m'empêcher de  taquiner Pyram, dans la cuisine de Maria. Je prends un balais et m'entreprends de le chasser, comme à la maison on chasse les chiens pour qu'ils n'entrent pas, ce que mon père ne veut surtout pas ! Maria se fâche et devient rouge de colère. C'est à peu prés les seuls souvenirs que je garde d'elle. Je revois Maria toute vêtue de noir entre les portes de Charel nous dire au revoir en agitant son bras. Maria est décédée en 1956. J'avais 4 ans. Au revoir Maria.

13 commentaires:

  1. Super, je n'ai pas eu à attendre longtemps! J'ai bien fait de revenir faire un tour "chez toi", car les notifs arrivent souvent seulement le lendemain :-)
    Tu connais beaucoup de choses de Maria je trouve. C'est super que tu aies rassemblé tous ces renseignements. J'aurais bien aimé voir encore une petite photo, moi ;-)
    Elles étaient nombreuses à cette époque les jeunes filles, jeunes femmes qui se plaçaient dans une famille bourgeoise et faisaient un peu de tout en échange du gîte et du couvert. Je ne suis pas sûre qu'elles étaient payées en plus. En tout cas pour ma grand mère (celle qui gardait les vaches), c'est ce qu'il s'est passé. D'ailleurs la lettre de recommandation de ses patrons est amusante à lire pour nous:
    "c'est une jeune fille très propre, qui sait bien tenir un ménage"..... ;-)

    Bonne fin de journée Délia, et merci encore. J'espère que tu vas continuer sur ta lancée.
    De grosses bises!

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  2. Merci Ambre, je n'ai pas d'autre photo de Maria et c'est dommage. mais je te promets que tu en auras de son environnement, de son village. La prochaine fois je vais remonter un peu plus le temps. Bisous à demain. J'ai pensé à toi tout à l'heure. Je vais te dire pourquoi. Quand les enfants étaient petits ( la Ponette surtout), on leur avait fait une cabane, une vraie, spacieuse, bien agencée et puis la cabane est devenue au fil du temps un abri de jardin. Cet après midi, nous avons entrepris du nettoyage et devines sur quoi nous sommes tombés ? Un nid de rats noirs avec plein de petits ! Un nid énorme. Pas la peine d'avoir autant de chats qui ne pensent qu'à leur pâtée et à dormir sur les lits et les fauteuils !

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  3. Bonjour Délia,
    une cabane!!!! Tes enfants ont eu drôlement de chance! Quel enfant ne rêve pas d'avoir une cabane?
    Double usage en plus puisque vous en avez fait un abri de jardin ;-)
    En revanche, y trouver des rats noirs et en ce qui me concerne, je n'y serais plus jamais entrée de ma vie!
    Je suis devenue très phobique en vieillissant, je ne me souviens pas que c'était à ce point avant....
    Tu as raison, que font les chats? LOL!
    Bon dimanche à toi jolie Délia!

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    1. Oui tu as raison on se modifie en vieillissant. Je n'aime pas les rats, ni les souris, mais là, du moment que ce n'est pas mon lieu de vie, je n'ai pas ressenti d’aversion particulière. Par contre si je deviens phobique de quelque chose, il se peut bien que ce soit de l'espèce humaine !

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  4. Encore une page de nos racines écrite, c'est un régal quand tu fouille dans le passé et très émouvant pour moi. Elle a eu un sacré destin la tata Maria.
    Ponette.

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    1. Je crois qu'elle avait beaucoup de caractère comme sa propre mère. Cela parait invraisemblable de nos jours d'avoir à vivre ce que ces femmes ont vécu. Si tu as le temps, va jeter un oeil sur le com de "La Bourlingueuse",juste en dessous, il est édifiant.

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  5. Bonjour Délia, un beau récit avec de très bons souvenirs, une belle écriture, bravo.
    Bisous et bon dimanche.

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  6. J'étais passée hier et j'ai mis d'y laisser un comm... Tu vois comme la vie était dure pour Maria et pour toutes les autres qui n'étaient pas nées avec une cuiller d'agent dans la bouche. Je ne voudrais pour rien au monde avoir la vie qu'ont eue ma mère et mes ancêtres. Je fais de la généalogie depuis 47 ans et je sais de quoi je parle. Gilette mariée à 11 ans et deux mois, Hélène, Marguerite et d'autres mariées à 12 ans, un enfant chaque année, parfois deux (l'Eglise défendait de tricher)elles mouraient souvent en couches ou d'épuisement. Qui en France voudrait vivre cela de nos jours ?
    Essaie de reconstituer la vie de Maria et écris son histoire... ou imagine la. Je fais cela pour l'arrière-grand-mère de mon mari qui est une énigme...

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    1. Oui la vie était dure. elle l'est moins peut être pour nous qui avons su ou pu suivre un bon chemin. Je reste persuadée que bien que des progrès immenses aient été faits (fruits d'avancées culturelles, évolution desmoeurs et des mentalités aussi, liées aux luttes sociales du 20ième siècle en particulier ) qu'elle l'est tout autant pour nombre d'entre nous, la solidarité et la proximité en moins. Mais tu as raison, pour rien au monde je ne voudrai vivre la vie de ma mère et encore moins celle de ces gamines mariées à 11 ou 12 ans.
      Pour Maria et pour toutes les Maria, merci de ce que tu fais . Merci de tes encouragements, je vais essayer, car je trouve qu'elles méritent qu'on s'attarde auprès d'elle et qu'on en parle à nos enfants.

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    2. Heu.. dans quels région as tu vu ça les enfants mariés à 11 ou 12 ans, c’était il y a bien des siècles alors?

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    3. Bonjour Bourlingueuse, je suis étonnée de lire que vos ancêtres ont été mariées à 11 ou 12 ans. Ce n'est pas de chance dans votre famille, car généralement on attendait au moins 20-25 ans pour la femme puisque le mariage étant pour la vie il fallait qu'elle fasse un peu d'usage quand même (humour noir)
      Je fais aussi de la généalogie depuis toujours, j'ai souvent rencontré des unions de femmes très jeunes avec des vieux, cela vient du fait que le fait de rester seul(e) n'était pas envisageable, la (pauvre) femme épuisée par les grossesses mourait jeune et l'homme se remariait, deux fois, parfois trois.
      Qui voudrait vivre ça? Personne, mais à cette époque, "c'était comme ça", je ne crois pas qu'on se posait des questions. Les femmes rebelles étaient rares! Elles avaient surtout le droit de rien du tout à part de faire des enfants!
      Ah, je viens juste de lire le comm de Marie Pascal, je vois qu'elle réagit comme moi :-)
      Amicalement

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  7. Bourlingueuse semble me dépasser de beaucoup !

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