Je me demande ce qui traverse l’esprit de ces deux enfants
Bah… On le saura lundi, vous aurez des idées j’en suis sûr…
Manon et Léo contemplent la rue déserte en cette fin d'hiver 2020. En attendant le printemps, qui sera éclatant cette année, ils voudraient bien retrouver leurs copains, aller au parc se dégourdir les jambes. Pouvoir marcher dans la rue, aller attendre maman à son travail. Elle fait le ménage pour une grande société qui l'emploie "au bon marché". Ce magasin de luxe a été décrété commerce essentiel et indispensable, contrairement au petit magasin du coin de la rue qui ne vend pas grand chose, à part des chaussettes et des culottes. Quelques bouts de chiffon et des élastiques.
Tout comme celui d'en haut qui lui ne vend que des livres et des cahiers neufs. Manon aime bien fouiller dans ce décor fait de papier lumineux et d'odeur de craie et d'encre à peine séchée. La librairie de Madame Solange est son royaume. De temps en temps, elle emprunte un livre sur une étagère que Madame Solange fait semblant de nettoyer. Le temps de le feuilleter, seule au fond du magasin. Elle s'évade ainsi sur des iles lointaines où des pirates partagent avec elle le trésor de Robinson Crusoé. Léo, lui, préfère fouiner dans l'entrepôt situé derrière la boutique. C'est là que Madame Solange cache des merveilles oubliées, du temps où elle avait le droit de vendre quelques objets en plus de son commerce de librairie. S'y cache collections de petites voitures "majorettes", d'indiens et de tuniques bleues, de pièces de Mécano, vous savez ces ancêtres de Légos, que Léo aimerait bien pouvoir un jour assembler ; des surprises en cornet de couleur bleu pour les garçons et rose pour les filles où sucreries voisinent avec gadgets. Elles sont si vieilles que le prix est encore en franc, vous rendez vous compte !
De vielles cannes à pêche sont aussi entreposées tout à côté. C'est là que grand père venait s'approvisionner, c'était aprés la guerre, la précédente, celle dont il leur parlait parfois le soir à la veillée. Outre cet attirail démodé, il y a aussi quelques poupées en porcelaine, de quoi ravir les petites filles des beaux quartiers.
Cloé, la petite voisine, vient souvent avec lui. Ensemble, ils aiment découvrir tous ces objets d'un autre temps, pendant que Manon se délecte des aventures de Tom Sawyer ou de Robin des Bois et que la vieille Solange tricote en attendant le client. Elle les aime bien tous ces enfants, Solange, elle qui n'en n'a jamais eu. Ils lui font aimer la vie. aussi que ne tolèrerait - elle pas pour avoir leur présence à ses côtés.
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Novembre 2020.
Il est revenu le temps de l'enfermement. Manon et Léo sont à nouveau coincés dans ce 3 pièces cuisine où leur mère peine à payer le loyer. Il regarde par la fenêtre le quartier un peu moins désert qu'au printemps dernier. Il faut bien que l'économie fonctionne et que tourne l' activité, celle qui fait gagner des sous, parce que l'autre, on voit bien qu'elle n'a que peu d'intérêt ! Le vieux commerce de Madame Solange n'a pas ré-ouvert ses portes. Celui de culottes et de corsets non plus. Tous leurs clients sont partis au "Bon Marché", ils paient plus cher, mais ils sont sûrs d'être approvisionnés. Quant aux autres, qu'ils se débrouillent déjà pour trouver à manger. Cloé a déménagé. Ses parents ne supportaient plus de voir tous ces lieux de vie, commerces, théâtres, musées, bars, restaurants, cinémas, centre culturels et sportifs, etc... fermés. Au moins à la campagne, ils le sont naturellement, il n'y en a plus depuis longtemps !
L'école a repris une semaine sur deux, masqués, les enfants n'ont plus le droit de se toucher, ni même de s'approcher.
Manon pense que c'est injuste et se demande pourquoi elle n'a pas le droit d'emmener son nounours pour la sieste comme autrefois. Léo, lui ne supporte pas d'entendre crier. La nuit il fait des cauchemars et se réveille en sueur. Il appelle maman qui désemparée ne sait comment faire pour le calmer.
Maman qui comme de nombreux autres parents ne sait pas non plus comment affronter cette terrible période faite d'arrêts sur image et d'incertitudes des jours d'aprés. Elle a perdu son travail. La société monsieur Propre qui l'employait a beaucoup moins d'activité avec tous ces locaux et bureaux vides grâce au télétravail généralisé.
Alors les mamans qui ont dû rester à la maison pour garder les enfants quand l'école ne les accueillait pas, ont été licenciées en premier. Avec ses collègues, uniquement des femmes, elles ont bien contacté les syndicats pour faire valoir leurs droits et dénoncer cette injustice, mais ils sont restés sourds à leurs appels. Des licenciements de femmes seules, qui voulez vous que cela intéresse ? D'autre suivront, toujours par soucis de rentabilité. Que faire quand plus personne ne se préoccupe de l'intérêt commun ? Quand chacun se réfugie derrière son ombre et accepte sans révolte, l'inacceptable ?
Grand père a fini par partir pêcher, loin sur une autre rive, celle que les vivants n'atteindront jamais.
Pour Manon et Léo, la vie est ailleurs. Mais pas de danger qu'ils puissent s'y aventurer.
L'autre jour, maman pleurait au téléphone. Elle venait d'apprendre cette affreuse nouvelle. La compagne de papa venait de perdre sa mère. Placée dans une maison de retraite, elle s'est éteinte des suites d'une maladie que personne n'avait soignée. Et si cela avait à voir avec cette infection qui nous tient ici enfermés ? Et si maman devait elle aussi disparaitre à son tour ? Autant d'interrogations qui taraudent nos deux enfants impatients de retrouver leur liberté, mais si craintifs face à toutes les éventualités.
Léo pense aussi à petit Paul enfermé quelque part en Vendée. Ses parents ont pu décider de rester là bas aprés les vacances de Toussaint. Ils reviendront surement plus tard quand tout cela rentrera dans l'ordre. Lui au moins en ouvrant sa fenêtre il a le bruit des vagues et le chant de mouettes. Pas comme Tahar son autre ami Africain, qui vit dans une chambre sous les toits, mal isolée, bruyante et trop étroite, avec ses parents et ses autres frères et soeurs. Comme cela doit être dur une telle promiscuité ! Et comme cela doit être compliqué leur vie dans cet espace réduit. Il y a aussi Katia la petite Roumaine qui, elle, est assignée dans un camp loin de la cité, et aussi Eléa dont le père alcoolique violent abuse, mais de cela il ne faut surtout pas parler, "cela ne nous regarde" pas disent les grandes personnes. Au moins quand elle pouvait s'échapper, elle n'était pas dans les griffes de ce sadique pervers qui aurait dû la protéger.
Tant de situations compliquées aux quelles chacun de ses camarades est confronté.
Lui il voudrait seulement aller dehors, avec Manon, pour respirer. Courir aprés les pigeons du quai, dire bonjour à la vieille Adrienne qui promène son chien dans le square chaque aprés midi. Elle a toujours dans son sac quelques bonbons qui collent à leur papier et qu'elle distribue aux enfant venus caresser Tito son chien de berger.
C'est un Border Colie merle au museau de feu. Un des plus jolis, un des plus doux aussi. Manon aime particulièrement glisser ses doigts dans sa fourrure étincelante, pendant qu'Adrienne s'entretient avec Léo et les garçons de la bande. Elle leur raconte comment ce chien tient tête aux loups dans la montagne, pour préserver les troupeaux. Comment aussi en ville il peut aider les personnes comme elle, qui ne voit plus trés clair, à se déplacer. Elle sait des tas de choses Adrienne qu'elle aime partager. Cela leur manque tellement à Manon et à lui, comme aux autres enfants, il suppose. Quand pourront ils se retrouver ?
Ils en parlent souvent avec maman, mais maintenant qu'elle est à la maison, elle est souvent irritée. Ils ne savent pas pourquoi, ne comprennent pas pourquoi. Elle devrait au contraire profiter de ce temps avec eux et faire que ce temps passé ne soit pas perdu. Que chaque minute soit un espace de bonheur qui ne soit pas volé à l'échelle du temps. Mais au lieu de cela, elle est triste et morose. Certains la disent déprimée.
Alors derrière la vitre du salon-chambre à coucher, ils rêvent, Manon et lui à de grand espaces où des chevaux sauvages s'égaient en liberté. Ils s'imaginent chevauchant l'un d'eux, un bel Alezan à la crinière au vent courant si vite qu'en un instant il pourrait rejoindre la mer et retrouver petit Paul, ou comme Pégase, dont leur parle parfois Adrienne, s'envoler dans le bleu du ciel et sauter de nuage en nuage à la conquête de l'espace, celui qui leur fait défaut précisément aujourd'hui.
Ainsi rêves aprés rêves, ils déplacent des montagnes et se créent un univers de miel et de douceur où il fait si bon s'aventurer.
Ils ne savent pas quand, mais un jour peut être, aprés la guerre, ils retrouveront leur liberté. Ils construiront des cabanes dans les bois, comme les trappeurs d'autrefois où ils pourront recevoir leurs amis et observer les animaux de la forêt. Ensemble, ils seront plus forts et leur volonté de rattraper ce temps gâché, les conduira loin des puissants de la cité. Là où les hommes de pouvoir ne vont jamais. là où personne ne va jamais. Sauf les gens comme grand père, épris de justice et d'humanité. Ils feront comme lui, pratiqueront l'entre aide et la solidarité, ils seront fiers de récolter les fruits de la fraternité.
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Janvier 2022.
La maman de Léo et Manon n'a pas retrouvé de travail. Ils ont dû déménager. Ils occupent à présent la chambrette sous les toits qui abritait Tahar et sa famille avant qu'ils ne soient expulsés.
Derrière la fenêtre de leur "nouvel appartement", Manon et Léo regarde défiler les jours sans pain. Ils n'ont plus d'ami. Plus de repère, Madame Solange et Adrienne ils ne les reverront jamais. Ils entendent trés distinctement les bruits de la rue, en bas. Cela ressemble à un grondement de colère. En se penchant un peu, ils peuvent apercevoir au loin à quoi ressemble la liberté.
Tant qu'il y a de la colère, il y a de l'espoir
RépondreSupprimerUn texte un peu trop réaliste pour rêver :-)
Gros bisous Délia
Bonjour Ambre, au plaisir de te revoir. Et bien si l'état de la colère est une jauge, je m'apprête à penser que celui de l'espoir n'est pas au mieux non plus !
SupprimerBisous.
On s'en sortira quand même, on a vécu pire par moments !
RépondreSupprimerPersonne n'a rigolé tous les jours, ça prend fin un jour.
On se relèvera, ne t'en fais pas !
je ne m'en fais pas, je constate.
Supprimerbrr ça donne la chair de poule! on en a le coeur tout serré...
RépondreSupprimerA mon avis on n'a pas encore tout vu et peut être même pas le pire !
SupprimerTon texte sonne juste mais la capacité d'adaptation des enfants est très forte, mes petite filles ont adoré le premier confinement, la petite faisait ses devoir sur la terrasse, la grande dans le jardin, les bruits de la ville avaient disparu, en banlieue parisienne, on pouvait se croire ailleurs.
RépondreSupprimerIl y a des exception partout.
SupprimerLa chute lente vers la précarité, c'est triste !
RépondreSupprimerEt pourtant combien ont basculé ?
SupprimerMême si ce fléau finira un jour, il aura fait des dégâts dont nous mettrons longtemps à nous remettre. En écrivant "nous", c'est de tout le monde à qui je pense...
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec toi.
SupprimerLes enfants ont une extraordinaire capacité à rebondir des situations les plus dramatiques.
RépondreSupprimerJ'en sais quelque chose, puisque j'ai dû en vivre une dont je garde les séquelles jusqu'à la fin de mes jours… et pourtant ma vie de septuagénaire aujourd'hui est plutôt belle et heureuse.
Le vieil enfant de ce temps-là, après avoir titillé la mort est revenu vivre pleinement.
Courage ! Tout est toujours possible !
Bien sur que tout est toujours possible, mais quand on va dans le mur, il faut manoeuvrer autrement sinon y a de la casse.
SupprimerMon conseil ? Arrête le charbon. Parole de gueule noire (non, pas mineur, guadeloupéen, trèèès concerné par la montée des eaux ). ;)
RépondreSupprimerEn fait, ne sachant pas qu'elle est la tonalité habituelle de ton blog - que je découvre, venant de chez Le Goût - soit tu es gravement ironique, soit il te faut :
- manger à nouveau du chocolat (pas moins de 70%);
- changer de quartier;
- balancer ta télé sur le prochain cortège anti-libertés;
- dire à "ta moitié" qu'il ferait bon se promener, non ?;
- en mettre deux, plutôt qu'une, dans ta crêpe au jambon.
En revanche, pardon, pour être au cœur de ce problème, non...
Seuls les enfants, entourés après coup(s), d'un regard bienveillant, sont en capacité de rebondir aux situations les plus dramatiques.
Dire qu'ils en sont capables, dédouane leurs tortionnaires et nos pires cauchemars. Et aggrave leur plaies.
Encore pardon d'être aussi sérieux sur un billet qui voulait simplement participer à un jeu d'écriture.
Mais voilà. Pour eux (qui n'osent plus crier que dans leur sommeil : non, MAIS NON !
Je ne sais pas trop ce que tu veux me dire avec tous tes conseils. Serais-je responsable de la situation ? Par contre je pense un peu comme toi sur la situation des enfants.
RépondreSupprimerQuant au jeu d'écriture, il n'exclut pas le sérieux, heureusement.
Je suis allée lire ton devoir, pas mal, j'aime bien l'humour à l'acide. Décapant n'est nullement dérangeant. Bienvenue ici et ailleurs sans doute.
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