Ma mère

Je suis le vagabond, le marchand de bonheur, je n’ai que des chansons à mettre dans les cœurs, vous me verrez passer chacun à votre tour…. passer au vent léger au bon vent de l’amour, j’ai l’automne et l’hiver, le ciel et la mer, le printemps et l’été pour chanter… 
 Ma mère aimait cette chanson que moi aussi j'aimais chanter.  




Petit bout de mémoire, carré d’une vie dans un tiroir enfoui. Saveur de l’enfance encore épanouie. Oeufs durs salades. Pommes volées de l’oubli. Regard tourné vers une Pinatèle d'où, un jour d'avril,  j'aperçus mes Enclos,  rentrant à la maison aprés un long exil. Ma mère n'était pas avec moi, mais je courrais vers elle, impatiente d'être serrée dans ses bras. C'est ici qu'elle guettait nos retours de l'école où chamaillées par les plus grands, nous ne pouvions nous défendre, ma soeur et moi.

Elle nous accompagnait à l'école, les jours d'hiver afin de nous faciliter le passage entre les congères  qui parfois étaient infranchissables. Nous rebroussions chemin et rentrant à la maison, nous nous chauffions prés de la cheminée en attendant qu'elle ait terminé son ouvrage. 
Nous partagions alors avec elle les souvenirs des temps jadis et nous étions transportés dans les pas d'un aïeux frappant ses sabots sur le sol pour faire tomber la neige. Ou bien jetant sa tourte de pain aux loups qui le suivaient, afin de pouvoir rentrer tranquille à son foyer.
Elle nous parlait des longs hivers, des travaux qu'il faut faire. Elle nous parlait de son père, de la guerre, et nous apprenions à connaitre cet homme qui aimait tant les chiens. Savait chanter et apprécier ses amis.
Elle nous racontait comment il partait le matin sur les chantiers et comment le soir son chien allait l'attendre à la nuit tombée. Le chien savait toujours par quel chemin il allait le trouver. Quand il mourut, ce chien partit tous les jours sur sa tombe. Pendant trois mois. Un soir il ne revint pas. On le trouva étendu aux pieds de son maitre, mort de chagrin à son tour. Youki. Il s'appelait Youki. C'était un jour de mars 1946.




Elle resta seule avec sa mère, démunie et désemparée. Elle avait 22 ans.  Il fallait gagner sa vie. Elle tricota pour les dames de Paris. Une cousine établie dans la capitale, lui procurait sa clientèle qui lui fournissait la laine. Gardant ses 4 vaches en bordures des taillis, de fil en aiguille, elle confectionnait des habits. Les aprés midi, il fallait aller à la vigne ou aux champs, se casser le dos à cultiver la terre de ce sol rocailleux si bas aux miséreux.  


Et puis elle rencontra mon père. 
Ils eurent 7 enfants, dont je suis la première. De sa vie, elle ne connut que peu le bonheur. Tant de souffrances partagées entre  les durs travaux des champs, les soins aux enfants, le bétail et la misère au quotidien.  Je me surprends parfois à penser quelle aurait été sa vie si comme nous elle avait eu un peu de confort, accès à une culture dont elle était par ailleurs friande, aux loisirs dont elle aurait bien su profiter pour se distraire, et seulement au repos de temps en temps. Il m'arrive de me dire qu'elle aussi aurait su créer de belles choses, si seulement elle en avait eu la possibilité matérielle. Ma mère écrivait bien. Elle avait le don du dessin. Elle savait chanter et appréciait la beauté des choses.Si les femmes en son temps avaient eu la chance que nous avons, Elle aussi aurait pu profiter de la vie comme chacun peu l'apprécier aujourd'hui. Ma mère est née le 15 mai 1924. Elle aurait 94 ans.

6 commentaires:

  1. Ton texte est magnifique, j'en ai eu les larmes aux yeux et le cœur qui se serre en lisant la dernière phrase. Merci Maman
    Ponette

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  2. Merci Ponette, je crois qu'on est tous comme toi, particulièrement aujourd'hui. Les affres de la vie aux quels nous n'échappons pas atteignent parfois des abysses profonds que nous ne soupçonnons pas. Je t'embrasse ma Ponette.

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  3. Je suis très touchée. Par ton texte, par l'histoire que tu contes. Par l'amour qui transpire de ces mots. L'amour de ta mère pour vous les enfants, celui que tu lui portes.

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  4. Oh merci Anne ! c'est toi qui me touches avec tes mots ! Je crois qu'une mère aime toujours ses enfants, même maladroitement, même dans la douleur. A sa façon. Je regrette bien des choses, souvent, en particulier de n'avoir pas toujours su la réconforter et de n'avoir pas été à ses côtés quand elle est partie. Mais il y a une chose que j'ai appris, c'est aimer et c'est à elle que je le dois.

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  5. Ton billet et tes commentaires sont très touchants. Ta maman a transmis l'essentiel : l'amour que tu transmets à ton tour. Dure vie pour elle dont elle a gravi le chemin avec ardeur, joie et courage. Bel hommage que tu lui rends.

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