Bonne ou mauvaise nouvelle ? Les deux mon général.

 

Je me souviens  bien de leur visage, ces beaux visages de jeunes gens. Même si les souvenirs s'estompent tout comme au petit matin, disparait la rosée quand chantent les grillons.  Cette image ! Comme leurs traits sont ressemblants ! Était-ce sur une de ces plages de Camargue où ils étaient partis en voyage de noce ?  Je me souviens qu'elle avait tenu à emmener avec eux tonton Charles qui était son parrain. Une jolie carte postale nous avait prévenu que tout se passait bien, que la Camargue était jolie, qu'il faisait beau et qu'ils étaient heureux. 

 Je les revois  le jour de leur mariage. Elle avait une longue robe blanche et lui un joli costume qui n'était pas à carreaux. Cela ne se passait pas un dimanche, un dimanche au bord de l'eau. J'ai oublié en quelle année, mais je sais que c' était le 16 du mois d'aout et que ce jour là, il faisait beau. Nous étions arrivés la veille à la Grande Terre, ensemble nous avions décoré l'entrée de la cour avec des genévriers et des roses en crépons. Pour le cortège, nous avions disposé des rubans de tulle sur les voitures et sur le tracteur, que Jean le frère ainé de la mariée était chargé de conduire pour fermer la marche nuptiale , avec une cariole où était disposé un balai. Nous avions parcouru les quelques kilomètres qui nous séparaient de  Centlieu au son des klaxons, dans le bruit et la poussière du grand chemin qui vient de la Grande Terre, laissant en bas sur la droite la maison des Fontanettes, puis traversé le pont sur le ruisseau de Montzoux. 

En écrivant, me reviennent quelques bribes de la cérémonie. Le soir on avait dansé jusqu' à bien tard. Au petit matin on les avait réveillé aprés avoir longtemps cherché où ils se cachaient. Mais il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts de la Lioux. Beaucoup de choses se sont effacées. Ils auraient dû avoir une vie heureuse. Sans doute elle le fut... au début...

Janille  et Jack se sont retrouvés enfin, aprés une longue suite de péripéties. 

Essoufflés par la course folle des chevaux  blancs de Camargue, ils voguent sur un nuage de bien être, à présent,  mais il en a fallu du temps pour arriver jusque là. La vie est loin d'être un long fleuve tranquille.

Quand ils se sont connus, il y a trés longtemps, c'était dans les années soixante, le temps du rock, le temps des copains, des mini- jupes, de l'insouciance et des caramels à un franc. Elle, elle  était une toute jeune fille. Elle allait aux bals avec son frère Ferdinand. Leur mère Mariette faisait entière confiance à sa petite dernière que ses frères chouchoutaient et taquinaient en l'appelant Sheila.

Sheila se prêtait gracieusement à leur petit jeu, d'ailleurs, elle l'aimait bien Sheila. 

Elle fredonnait souvent des airs yéyés, de Johnny, de Claude  François et bien sûr des airs de Sheila.. Pendant ses vacances et les dimanches,  elle allait faire le ménage, histoire de gagner quelques sous, dans la grande maison bourgeoise du village du Chatperché.  Petit hameau suspendu sur une crête rocailleuse où poussait la vigne  donnant un vin aigre-doux. Là bas, pépé Arthur, son père,  travaillait quelques arpents, Il avait aussi un petit jardinet où poussaient les légumes. Il aimait particulièrement  quand Janille passait le voir et repartait un sac plein des premières salades, d'un repas de haricots verts, de petits pois ou de navets qui ne poussaient pas aussi bien sur la Grande Terre, disait-il, les yeux pétillants de malice, bien content d'être utile et de ne pas s'être échiné pour rien. Il aurait pu vivre avec eux tous, sur la Grande Terre, cela aurait été plus simple, mais il était né ici, son cailloux, il l'entretenait et il ne fallait pas lui parler de quitter sa maison.  Les vieux ça aime bien s'accrocher à la terre, même s'ils n'en ont pas besoin. 

Janille, elle, comprenait et c'était bien comme ça, que ses parents avaient communément choisi cette façon de vivre l'aventure. Personne ne trouvait à redire et c'était bien comme ça.

Depuis la Grande Terre, elle partait à travers champs, passait la Petite Terre,  traversait plus loin la Lioux qui par endroit offrait des passages à gué, puis elle continuait à travers le bois des 3 Suzon laissant au loin le bourg de Centlieu, son auberge où le dimanche il faisait chaud,  sa mairie ronde,  son église romane  et son clocher. 

Le soir elle faisait en sens inverse le chemin et s'attaquait en arrivant, à la traite, car Mariette n'en avait pas fini encore. Des trois étables, il en restait souvent une. Restait aussi le lait à passer et le fromage à cailler.   Puis ensemble,  elles parquaient les vaches pour la nuit. Le domaine était seul au milieu des prairies, s'étendant de la rive droite de la rivière jusqu''aux  Fontanettes au sud  et aux champs de Lespeu plus à l'ouest, voilà qui offrait un vaste territoire à clôturer, à surveiller, à vérifier. Janille se prêtait de bonne grâce à toutes ces corvées. Les hommes étaient aux champs, aux foins ou aux moissons, le travail de la ferme, comme dans beaucoup d'endroits, c'est aux femmes qu'il incombait. Toujours joyeuse, heureuse de vivre, Janille était le rayon de soleil qui illuminait la rude vie de Mariette, de ses frères et de tous ceux qui la côtoyaient. Parfois nous allions en vacances, quelques jours dans la maison de la Grande Terre, où régnait la bonne humeur mais où les lits infestés de puces ne nous procuraient qu'un confort tout relatif et pour tout dire un sommeil mouvementé, qui nous trouvait épuisés avant la fin de la nuit. Quand on se levait, de bon matin, Mariette avait déjà bien commencé sa journée, toujours levée la première pour préparer le déjeuner. Toujours en chantant, toujours en riant, elle nous accueillait les bras ouverts et nous servait beurre fraichement moulé et confiture de groseilles de son jardin. Puis la journée s'étirait ponctuée de toutes les tâches à réaliser et aux quelles nous apportions notre modeste contribution. Quand venait l'heure du 4 heure que nous partagions avec les hommes, faisant coupure entre deux charrettes de foin, notre goûter fait de la même confiture et de pain bis, nous ne l'aurions laissé à personne. De temps en temps, Mariette nous laissait gouter au vin de la treille, celui que personne d'autre n'avait droit de boire, fabriqué par Arthur et coupé d'une bonne dose d'eau fraiche pour nous désaltérer. Nous aimions son goût aigrelet. Comme nous aimions le soir à la traite déguster le lait bourru. 

Janille était à peine plus âgée que moi, deux ans pas plus. Elle me parlait de ses rencontres faites au bal les jours de fête patronale, à Centlieu, à Laronde, à Latour, à Certilanges ou à Frugères. Je l'écoutais, et ensemble on riait des mésaventures de tel ou tel, éconduit ou malchanceux. Il y avait Jojo, le fils de la Marthe ; Jeannot, le grand blanchot ; Pierrot le petit voisin, le gros Lucien et quelques autres. Et puis il y avait Jack. Elle l'avait rencontré au bal quand elle avait dix huit ans. Pour elle, l'école était finie, elle avait réussit ses examens  de puériculture et travaillait maintenant à la pouponnière du CHU du Valmont. Lui Jack  travaillait à l'usine aux Chais Auvergnats. Ils se fiancèrent trés vite, puis se marièrent. Elle lui suggéra de faire une demande d'embauche comme garçon de salle au même CHU. C'est ce qu'il fit. Ils s'établirent en ville, à deux pas de leur travail. Il leur vint un enfant dont ils étaient  fiers. Puis la boisson, la lassitude peut être, les mauvaises fréquentations, la vie quoi ! Ils ne se comprenaient plus. Jack se révélait possessif, jaloux, il en devenait méchant. La pauvre Janille devait rendre des comptes journellement, sous les coups, parfois.  Sa vie devint un cauchemar. Qu'il était loin le temps des fiançailles et des roses de Corfou. Qu'ils étaient loin les chevaux de Camargue, qui chevauchaient, fantastiques, dans les rizières et les champs de roseaux où se baignent les flamands roses bordant l'horizon dans le soleil couchant. Les larmes comme le sel des saunières brulent aussi cruellement.

Un jour, on l'appela à son travail. Jack  n'était pas rentré cette nuit là. Inquiète, elle avait gardé pour elle son tourment et au petit matin était parti travailler comme tous les autres matins. Quand on l'appela au bureau de la surveillante en chef, elle sut tout de suite  que quelque chose de grave venait d'arriver. 

On venait de retrouver Jack, sa voiture enroulée autour d'un arbre, entre Virleroi  et Centlieu. Il avait cessé de vivre. Mort au volant, ont dit les médecins. Ainsi il ne s'était pas vu partir, la voiture sans chauffeur avait fini sa course contre un arbre. Heureusement, il n'y avait pas eu de véhicule venant en sens inverse et la seule victime était Jack. 

Janille pleura beaucoup, puis se reprenant en femme de caractère quelle était, digne fille de sa mère, elle releva la tête et éleva son enfant avec l'aide précieuse de Mariette et de ses frères qui n'allaient pas manquer de soulager son malheur. Elle n'avait plus de compte à rendre. Ne subissait plus de scène de jalousie, était délivrée de cette oppression,  mais il manquait quand même un maillon à la chaine qui relie  la barque à son ponton et  qu'elle avait contribué à maintenir à flot. 

Et puis ce fut son tour de chavirer. Elle tomba malade. Gravement. Un méchant cancer s'était porté sur ses os. Elle perdit l'usage de ses jambes. C'est dans un fauteuil roulant que je la vis la dernière fois. Elle gardait cependant sa bonne humeur et nous accueillit, maman et moi, avec entrain et beaucoup de chaleur. Elle occupait son temps entre lectures, elle avait toujours aimé lire, et  la généalogie. Cela lui passait un peu le temps, disait elle, en souriant. Sa mère  l'encourageait, elle qui était une enfant trouvée, déposée dans une panière, devant la porte d'une institution de bienfaisance Parisienne, veuve à 20 ans et remariée avec le fils de la maison qui l'avait accueilli avec son premier enfant. 

Quand Janille quitta ce monde aprés une  grave rechute. Mariette recueillit et éleva son fils,  avec l'aide des siens. Les grandes familles savent être solidaires dans les coups de mauvais temps. 

Nous sommes revenues maman et moi,  voir souvent Mariette, plus jamais nous n'avons parlé de Janille. Elle était trop présente pour que nous évoquions son absence. Toujours entre nous,  c'est comme une gardienne  qu'elle nous protégeait de loin. 

Je me dis parfois, que si Dieu existe, il réunit peut être ceux qui s'aiment, alors je me  prends à imaginer Janille et Jack, enfin apaisé et délivré de ses démons. Ils sont  sur cette plage de Camargue, loin de la ville, loin du bruit, ils parlent entre eux de tous ceux qu'ils ont connus, aimés,  avec qui ils ont fait un bout de chemin. Il a son costume de lin blanc, comme le jour de leur mariage,  elle sa robe de satin, cette robe noire ornée de rouge qui lui allait si bien. Elle a mis sur ses cheveux son foulard, pour cacher les affreux dégâts de la  chimio. Son visage rayonne toujours et l'amour des autres l'illumine tout comme avant. Jack à ses côtés lui demande pardon. Ensemble ils s'engagent dans un nouveau parcours. Sur de nouvelles routes, il n'y a pas d'arbre sur les abords, mais de doux tapis de fleurs, des milliers de fleurs. pour les conduire jusqu'à cette plage de sable blanc. Au loin  le fleuve enserre  les Saintes Marie de la Mer,  au bout, tout au bout, un phare éclaire en bas la mer qui leur parait si loin.   Plus loin encore vers ce qui est le Nord, il y Des halos de lumière tendre qui baignent la campagne autour du bourg de Centlieu. Là, leurs souvenirs se brouillent. Ils tentent de distinguer quelques visages. Des gens connus, appréciés leur tendent parfois les bras. Parmi eux, Mariette, ses fils, parrain Charles, et d'autres encore qu'ils ont laissé à regret. D'autres encore trop jeunes  les rejoindront plus tard. Rien ne presse, puisqu'ils savent que  lorsque descendra pour eux le soir, c'est vers leur lumière à eux qu'ils se dirigeront. Cela les fait sourire. Non, ce n'est pas triste.  Là où ils sont, ils sont heureux.    Ils méritent bien cette seconde chance. C'est toujours moche un couple qui bascule. Une vie qui se barre, et des enfants en souffrance qui grandissent sans leur parents.

Quand je pense à eux, je me dis que la vie ne tient pas ses promesses et que le bonheur ne tient qu'à un fil, qu'il faut savoir le suivre et ne pas le laisser se distendre car aprés c'est compliqué. 

17 commentaires:

  1. Hé bé !
    Mais finalement c'est une vie si courante, faite de bonheurs, de chagrins, d'accidents, de mauvaises nouvelles ou de bonnes noivellesEt qui se termine inévitablement par la mort...
    C'est peut-être pour ça qu'on l'appelle "une vallée de larmes", larmes de bonheur ou de malheur, mais larmes tout de même...

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    1. La vraie vie, bien sûr, puisque c'est un récit d'une histoire vraie, sauf la croyance en Dieu puisque personne dans cette histoire n'y croyait non plus.

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  2. C'est une sacrée histoire que tu nous racontes, j'espère, sans y croire, qu'ils sont heureux dans cet ailleurs.

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    1. Leurs souffrances en tout cas ne sont plus non plus.

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  3. Une vraie nouvelle, avec ses rebondissements, ses épisodes de chagrins et de joies.
    C'est drôle, j'ai pensé à cette chanson que me chantait ma grand-mère quand j'étais toute petite...Celle avec le knicker-bocker à carreaux...
    Bravo pour cet écrit-fleuve !
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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    1. Tiens mon com n'est pas passé, je te disais que moi aussi en écrivant les premières lignes j'ai naturellement pensé à la chanson ! (lol)

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  4. quelle vie! je pense souvent que certains ont plus de coups durs à subir que d'autres...

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    1. C'est juste ce que tu dis, n'as tu pas remarqué aussi que dans les familles, ces choses là se propagent comme les maladies contagieuses ?

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  5. Je suis d'accord avec Adrienne et j'espère que cette fois mon comm va passer !!!

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    1. Les coms sont de véritables arlésiens ces temps ci ou bien ils jouent à cache cache ou bien ils ne s'affichent pas. Esi ce une armes supplémentaire contre les peuples pour les empêcher de communiquer entre eux ?

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  6. Les histoires simples et compliquées des gens ordinaires et singuliers.
    Très évocateur et bien écrit.
    Parfois on pense à Jean Giono…

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  7. "Parfois on pense à Jean Giono" tu n'exagères pas un peu, t'es sûr ?

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  8. La chanson "Ca s'est passé un dimanche" était chantée par Maurice Chevalier. J'aimerais croire qu'on retrouve ceux qu'on a aimés... mais il y a si peu de chances... C'est pourquoi il faut tirer de cette vie terrestre ce qu'elle a de meilleur à nous offrir et s'en contenter.

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    1. Pour tout te dire, je n'y ai jamais cru non plus, mais l'image évocatrice m' a fait penser à l'évocation d'un au delà.

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  9. La vraie vie semble t'inspirer...
    Mais c'est vrai qu'il y a quelque chose d'un peu "irréel" dans cette image, un peu comme des amoureux sur une plage de l'au-delà...

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  10. la vie c'est tout ça! Bonheur , malheurs, joies, soucis...et parfois regrets.....
    c'est une loterie...

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La tarte à la "belide"