Françoise Marguerite.

Je ne vous ai jamais parlé de Françoise Marguerite. Alors voilà. Quand je suis arrivée dans sa famille, elle vivait dans sa petite maison, seule avec son chien Véga. Véga était énorme. C'était un berger au museau de feu. Douce et tendre avec les gens qu'elle connaissait ou  dont elle estimait la bonté. Les chiens ont cette capacité innée de détecter bien des choses. Véga n'échappait pas à la règle. Elle aimait le jeu et lorsque nous rendions visite à sa maitresse, elle s'empressait de nous fêter. Mon petit tou était bien jeune et ne commençait qu'à peine à tenir sur ses petites jambes. Mais Véga le savait, elle se laissait approcher par le bébé qui lui faisait mille caresses qu'elle appréciait d'un coup de langue. Françoise que tout le monde appelait Marguerite la grondait, Véga se couchait alors à ses pieds et se tenait tranquille un moment puis recommençait. Quand Véga est partie, Marguerite n'a plus voulu de chien. Elle vécu seule désormais jusqu'à un âge avancé. Mais la vieillesse qui a vite fait de vous séduire, lui rendait la vie difficile. On installa un lit dans une partie de la pièce commune, celle où elle nous recevait dans sa maison et où elle nous payait le café. Sa maison n'était pas bien grande, juste assez pour vivre. Jadis,  sur l'arrière, côté nord et côté chemin, elle tenait un petit commerce d'épicerie. Elle nous parlait parfois de cette époque, où avec son mari Martial, dit Bambi, ils élevaient leurs cinq enfants. Lui, Martial était menuisier charpentier et outre leurs activités respectives, ils  élevaient un petit cheptel de vaches Limousines que les grands, Aimé et Louis Désiré allaient garder sur les landes de Chaudot, des Grandes Chaumes où du moulin de Brie. Les filles, les jumelles, Georgette et Huguette jouaient sur le coudert avec leur petites cousines Danielle, Claudette,   Gisèle et Jacqueline pendant que Marguerite besognait à la maison. La grand mère, autre Françoise, s'occupait tant bien que mal des petits, tout en surveillant son logis, ses poules, ses canards et ses cochons dont elle avait grand soin.
Et puis ce fut la guerre. Les privations.  Il fallait assurer le quotidien. Les vaches donnaient un peu de lait, les poules quelques oeufs que les enfants ramassaient. Le jardin fournissait pommes de terre et choux pour les potées, topinambours, rutabagas et autres légumes rustiques évitaient les famines. Le surplus était écoulé dans le petit commerce. Parfois Martial liait ses vaches et les attelait au tombereau à la nuit tombée. Direction les landes où il était chargé de récupérer du matériel et des munitions destinés au maquis, trés actif dans la région.
Mariée à 17 ans, Françoise que nous appelions Marguerite pour la différentier de l'autre Françoise qui était  sa belle mère, avait déjà 4 enfants plus les cousins qu'il fallait nourrir. Ce n'était pas tous les jours fête, on peut le croire, mais la solidarité aidant, chacun prenait sa part de ce fardeau bien lourd et aidait comme il pouvait pour adoucir le sort des plus infortunés. 
Quand vint la libération et la fin de la guerre, elle vit débarquer un jour, dans sa maison, un homme, un grand gaillard, qui se dit être son frère, Maurice et dont elle ignorait l'existence.  Celui ci en effet confié trés jeune à l'assistance publique lui avait  été caché par leur père si bien que Marguerite ne sut pas d'abord  si c'était du lard ou du cochon. Mais trés vite le contact fut établi avec Maurice qui se révéla un frère bon et attentionné.  Orpheline à l'age de 7 ans,   alors que leur père était au front, en 1917, avec sa petite soeur, qui n'avait que 4 ans, sans doute avaient elles été recueillies par la famille proche dans ce village où elle vécu  toute sa vie durant, car c'est là que sa petite soeur s'éteignit à l'aube de sa huitième année. Leur père remarié entre temps,  n'était pas présent.  C'était l'été, journalier agricole, sans doute était-il occupé aux lourds travaux des champs. De son deuxième mariage, il leur avait donné une  demie soeur, Marie Louise,  puis vint Maurice, dont on ne sait s'il était le frère ou le demi frère de Marie Louise, car le père fut remarié une troisième fois. De son enfance, Marguerite n'était pas loquace. Les secrets étaient bien gardés. D'elle nous ne savons que peu de choses. Pour l'avoir connue, je me souviens d'elle comme d'une femme aimante, endurcie par la vie.  Rude, mais aimante.
Elle tomba gravement malade, il fallu l'opérer du coeur. Elle passa quelque temps dans un centre de repos mais elle pouvait  plus rester seule dans sa maison, elle fut accueillie par Georgette sa fille et ma belle mère. Je la revois prés de la porte fenêtre, assise dans son fauteuil, tricoter ou ravauder quelque peille qu'on ne voulait pas jeter aux vieux chiffons, lire son journal ou un livre dont je l'approvisionnais souvent, sur lequel elle avait soin de marquer mon nom.
Pour les enfants, elle avait toujours dans sa poche un sachet de caramel Wetters qu'elle dépliait avec application, des bonbons au miel ou des pastilles qu'elle proposait en récompense, avant d'aller faire un petit tour avec eux, au jardin, ou le long de la maison.
Je la revois assise sous le grand chêne, les jours d'été, tenant sa canne  ou jouant de la tapette à mouche pour chasser cette vermine qui lui dévorait la main.
Je la revois aussi ce jour d'enterrement de l'autre grand mère, à l'écart, nous tenant  le bras, marchant derrière le cercueil quelques pas  plus loin et me disant, la prochaine, ce sera moi.
Elle est partie en février de l'année 2002. Nous étions en vacances de l'autre côté de la barre rocheuse qui nous sert de frontière entre l'Auvergne et le Limousin. Elle endura le martyr pendant une semaine. Son coeur tenait. Nous avions hésité à partir, puis aprés avis, nous avions cédé, un mieux s'étant déclaré.
Elle attendit que nous ayons le dos tourné et que nous soyons loin, pour ne pas nous déranger, comme toujours. D'un pas discret, sans bruit, elle s'en était allé.
Longtemps son fauteuil vide nous a laissé muets. Puis un jour, le soleil des souvenirs, entré par la fenêtre nous a réveillé.
C'est en fouillant dans le passé que j'ai pu reconstituer quelques bribes de sa vie. Si ce jour avait été plus tôt, j'aurais pu la questionner et sans doute la délivrer de bien des lourds secrets dont elle n'a jamais su parler.
Mais c'est d'un autre regard que je me penche aujourd'hui sur ce passé.

2 commentaires:

  1. C'est incroyable pour moi toutes ces histoires de ton passé, moi, j'ai l'impression de ne pas en avoir ! Ma famille n'a jamais raconté et ma mère a perdu ses parents toute jeune. Je n'ai pas connu ma grand-mère paternelle, elle est morte quand je n'avais pas encore 1 an ou 2 ?

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  2. Tu en as surement. C'est moche, je suis sure que tu aurais beaucoup aimé discuter avec tes grand mères. Il faudrait que tu trouves quelqu'un qui a connu tes parents ou tes grands parents et qui pourrait t'en dire plus. C'est dommage car le passé fait partie de nous malgré tout. J'ai toujours dit que j'avais beaucoup de chance, même si je n'ai pas connu ma grand mère maternelle, car ma grand mère paternelle, je l'ai connu mais je ne garde pas de bons souvenirs d'elle. Je suis persuadée que si j'avais eu connaissance de certains passages de sa vie, j'aurais eu un autre regard sur cette femme. Si ma mère nous a raconté beaucoup d'histoire de son passé et de celui de ses parents, du côté de mon père je n'ai presque rien et du côté de mon mari, c'est pareil, il n'a pas non plus d'histoire à raconter. J'ai questionné un peu ma belle mère qui est comme toi, c'est à dire dépourvue d'histoire de son passé. Personne ne racontait autrefois, la vie était tellement dure et faite de souvenirs douloureux. J'ai cherché dans les greniers car j'ai la chance d'avoir des deux côtés des maisons de famille, j'ai fouiné dans les archives des communes de naissance j'ai trouvé des choses, mais c'est peu de chose comparé à ce que j'aurais souhaité.

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