Il est parfois des hommes...







"Il est des hommes, lorsqu'on les aborde, avec lesquels les approches, les temps morts qu'exigent les règles de politesse, n'ont pas de sens, parce que ces hommes vivent en dehors de toute convention dans leur propre univers et qu'ils vous attirent aussitôt."

Je dois dire que lorsque je l’aperçu,  ce fut la première pensée qui me vint à l'esprit. Il était si beau, si digne, si lumineux  dans son maillot de champion de France. Je n'osais l'approcher. Je me tenais là, béatement devant ce podium où une jolie blonde (je ne sais pas pourquoi, elles sont tout le temps blondes et jolies par dessus le marché !) venait de lui remettre le bouquet du vainqueur. Je n'osais parler, n'osais qu'à peine le regarder. 
Quand il descendit la première marche  et se plongea dans la foule où embrassades et accolades le congratulaient, je me tins à l'écart pour ne pas l'importuner. Je le suivait des yeux, ébahie que j'étais. Je tentais de le suivre à distance, mais la horde des spectateurs en délire m'en empêcha.  Quand il regagna son hôtel, je n'étais qu'à deux pas, il m'aurait suffit de traverser la rue pour me jeter dans ses bras. Il était tellement beau et moi tellement timide, que je le regardais furtive sans me décider à franchir le pas.  La vie passa ainsi sans que je sorte définitivement de ce rêve. Mon beau champion accrochait toujours mon regard. Je suivais toutes les courses aux quelles il participait. Je fis des kilomètres, traversais des villes où j'aurais pu éventuellement le rencontrer. Je me fis muter dans celle où je pensais qu'il résidait. Mais mon rêve restait un rêve, sans que je puisse le contrôler. Je l'aimais. Je fis une grosse dépression lorsque j'appris par la presse qu'il venait de se marier. Mon rêve fou venait de s'écrouler.  Comment aurais je su alors que ce champion allait croiser ma route quelques années plus tard, dans un train de banlieue ?  
C'était bien longtemps aprés. Pour Noël. Mon mari et les enfants étaient partis en vacances chez la grand mère. J'étais restée seule, n'ayant pu avoir de congés. La veille j'avais passé la soirée chez une amie, dans la banlieue voisine. Elle avait, elle aussi, sa semaine, comme beaucoup de mes collègues. Le train que j'empruntais avec son compartiment réservé aux habitués, était presque vide. Françoise, mon amie prenait toujours ce train, elle retrouvait là Jocelyn le joueur de cartes, Geneviève la tricoteuse du soir, Véronique la maman abandonnée par son homme avec son bébé de 18 mois et toute une ribambelle de gens qui dés le matin faisaient un joyeux rafût auquel tout le compartiment joyeusement s'associait. Mais en cette période, la plus part n'étaient pas au rendez vous. Je m'asseyais donc à la place habituelle, celle que j'occupais traditionnellement  quand je rentrais avec mon amie. Parfois mon beau champion était à bord du train, il lisait l'équipe qu'il avait déplié en coin. Parfois il n'étais pas là, mais je cherchais des yeux sa haute silhouette dont l'aspect rassurant dominait toute la foule de banlieusards encore vaguement endormis.
 Depuis quelques jours, je m'arrangeais pour me trouver à bord du train de 8 heure 30 où je pensais qu'il serait. Peu à peu je m'enhardissais. J'osais même choisir une autre place, plus proche de celle qu'il avait l'habitude d'occuper. C'est alors qu'il m'aborda. Comme si lui aussi attendait ce moment dans des conditions plus intimes, pour engager la conversation. "C'est calme ces temps ci." Me dit il. 
Rouge comme un coquelicot, je dus bafouiller une stupidité quelconque, qu'il eut la délicatesse de ne pas relever. Ainsi la glace était rompue. Je passais prés de lui les dix meilleures années de ma vie. Cela aurait pu continuer, mais... le sort en décida autrement. Mon beau champion quitta cette terre bien trop tôt, me laissant désemparée. 
Quand j'y repense aujourd'hui, je me dis que la vie ne fait pas de cadeau. Parfois elle fait semblant pour reprendre aussitôt. Mais je garde en moi ces délicieux moments qu'avec lui j'ai partagé et je me dis que malgré tout cela valait la peine d'oser  franchir les lignes et qu'en dépit des règles et de toutes conventions,  s'il était à refaire, je referai ce chemin.



11 commentaires:

  1. Et on se dit : si elle avait osé plus tôt ! Mais peut-être ce n'aurait pas été le bon moment. Il arrive souvent qu'on se dise qu'à 20 ou 30 ans, on n'aurait même pas remarqué certaines gens...
    Là c'est une histoire qui dure et un voeu qui se réalise. Chouette histoire, Délia.

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    1. Comme tu dis ! avant l'heure c'est pas l'heure mais passé l'heure, c'est trop tard. Tout est question de circonstances : être au bon endroit au bon moment.

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  2. Tu en as profité dix ans, c'est court mais tu aurais pu jamais le croiser.

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  3. Aurais-tu réellement vécu cela ? C'est en tout cas une magnifique histoire... Dix ans, c'est peu, mais tellement mieux que rien !

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  4. Oui, c'est vrai mieux que rien. Mais mon personnage en aurait bien pris plus ! Quand à savoir si c'est vrai, peut on toujours démêler le rêve de la réalité ? Le rêve est bien réel pour ce qui le concerne. Quant à la réalité, c'est comme dans les contes de fées !

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  5. Oh non c'est trop triste, j'en ai la gorge serrée... mais pourquoi faut-il que les belles histoires aient une fin tragique ? snif...
    Bisous Delia, bonne nuit.
    Praline

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  6. Un bon moment est toujours un cadeau qu'il dure 10 ans ou 10 minutes.
    SUper Praline.

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  7. désolée Délia, je me suis emmelée le clavier.
    Bravo Délia.

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  8. C'est quand même mieux s'il dure longtemps !

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