Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas proposé de raconter une histoire.
Cette
toile de John Salminen, peintre que j’aime car il me paraît parcourir
Paris avec le même regard que Modiano me dit qu’il est temps qu’un
véritable hiver arrive.
Et vous ?
Comment verriez vous cet hiver qui pousse la dame à pousser la neige dans le caniveau ?
À lundi j’espère…
Il y a tant de neige, que ce n'est pas certain que je puisse sortir d'ici où les routes ne sont même pas déneigées. Même les nationales... le service de l'équipement a bien perdu des plumes ces dernières décennies. Mais il faut faire des économies, n'est ce pas ? ....
Alors, je vais vous écrire, et même vous décrire cette neige par qui tout peut arriver. Le bon comme le mauvais.
Le bon, c'est la main chaude de maman, dans la tempête, qui nous accompagnait sur le chemin de l'école et qui arrivés à la Pinatelle, nous serrait plus fort encore, joignant le pas à la voix qui nous disait, "on rebrousse chemin, les congères sont trop épaisses, on ne peut pas passer."
C'est le raclement de la pelle que papa actionnait pour faire la trace de la maison à l'étable et de l'étable au bac, pour soigner les bêtes et pour les abreuver.
Le mauvais, c'est cette route rude qui me conduisait au pensionnat, ce 9 février 1965, alors que moins que jamais je voulais y retourner.
Le mauvais c'est encore ces interminables hivers avec toutes leurs corvées. Se ravitailler. Se chauffer. Faire les devoirs à la bougie parce que l'électricité était coupée. Se faire punir le lendemain par la maitresse, parce que des fautes s'étaient glissées. Laver et rincer le linge aprés avoir cassé la glace sur la serve gelée, galérer pour le sécher devant la cheminée où un mauvais bois brulait. Avoir froid. Etre malade. Braver la tempête pour aller à l'école, avoir les pieds mouillés et les garder toute la journée. Se recroqueviller au fond d'un lit glacé... que même les briques chauffées dans le four de la cuisinière ne parvenaient pas à réchauffer.
Peut être ne suis je pas pressée de voir l'hiver arriver. Pas plus que je n'étais pressée de voir tous ceux qui ont défilé depuis de bien nombreuses années. Lui et moi sommes fâchés. Irrémédiablement fâchés. Définitivement fâchés.
Même si, se faisant plus rares de nos jours, je reconnais que les paysages enneigés ont quelques attraits et que j'éprouve un plaisir certain à marcher dans la neige, à l'entendre crisser sous mes pieds, faire des photos et même arriver à les trouver belles, magiques aussi, féeriques parfois.
Et puis il y a ces Noël, les yeux émerveillés des petits et même parfois des grands aussi, devant les choses que l'ont fait par plaisir et qui n'ont rien à voir avec celles faites par devoir et par nécessité.
Les hivers de mon enfance n'avaient rien de magiques, pourtant, certains sont émaillés de tendres souvenirs, comme justement ces cadeaux, les seuls qu'on recevait, bien posés sur nos petits sabots. D'autres s'inscrivent dans le grand livre, comme ce long mois de février 1956, où tant de personnes ont trouvé l'oubli. Où ma toute première petite soeur a frôlé la mort à causse d'une grave pneumonie.
D'autres encore, dans un plus petit, comme celui digne d'un conte d'Henri Pourrat et que je vais vous raconter.
Nous étions donc en 1965. Ma dernière petite soeur venait de voir le jour. Je viens de vous raconter avec quelle tristesse je suis repartie de la maison, papa à mes côtés.
Quand je revins une quinzaine de jours aprés, elle avait déjà changé. Elle commençait à s’intéresser à ceux qui l'entouraient. Pas au point cependant de réaliser tout ce qui autour d'elle, se passait. En tout cas pas à cette histoire de boeufs, même si plus tard, elle afficha la même passion que moi pour tous les bovidés.
Dans la semaine, donc, notre voisine, la Francine devait se faire livrer une nouvelle paire de boeufs. De beaux Aubrac, au poil cuivré charbonné, les yeux bien maquillés, leurs jolies cornes en forme de lyre, recourbées vers l'arrière.
De bien belles bêtes déjà dressées pour le trait.
Seulement, voilà, ce jour là il neigeait. Une bonne couche de neige déjà recouvrait cette campagne d'Auvergne, où il ne faisait pas bien bon circuler.
Le maquignon venant de Sauxillanges, par la route de Condat les Montboissiers, avait négligé de se renseigner sur l'état de la chaussée. Et tout pressé de faire rentrer des sous dans son porte monnaie, avait prestement chargé les boeufs dans son camion, en se disant que s'il tardait à les livrer, ils allaient manger du foin et que ça allait encore lui coûter !
Jusqu'au chemin de Lossedat, la route était encore dégagée, le chasse neige était passé depuis le matin, mais il ne fallait pas trop s'attarder.
C'est arrivé à ce chemin que les choses se sont dégradées. Impossible de circuler, le passage était bouché. Complètement bouché. Il fallait décharger les boeufs et continuer à pied. Ceux ci les yeux bandés, suivaient dans la neige, au son de la voix qui les guidait. Cela se passa avec quelques coups de trique pour les faire avancer plus vite, si bien qu'arrivés à destination, quand on leur enleva le bandeau des yeux et que la neige les aveugla, quand sous les coups on voulu les faire entrer dans cet étable inconnu, tout bascula.
Affolés par les cris de ces gens dont ils ne connaissaient ni l'odeur ni la voix, il y avait là : la Francine, son homme le Lucien, la Popo et le Roger, ses enfants et le maquignon, les boeufs virent rouge.
L'un d'eux se cabra et s'enfuit à travers bois, tandis que l'autre décampa plus prestement encore. La Francine envoya son trop de Lucien avec le marchant de bestiaux, courir aprés le premier, pendant que ce trop de Roger, allait quérir le Jean au fond du village, afin qu'ils vienne en renfort camper le deuxième. Et c'est ainsi que tous les trois, le Jean, la Francine et le Roger, vécurent une nuit bien mouvementée, qui allait alimenter les conversations pendant quelques mois, et à la manière de Gaspar des montagnes, faire la "Une" de l'actualité, la presse ayant largement relaté l'évènement.
Les voilà donc partis à la reconquête de bison futé. Courant dans la neige, bravant la tempête et le froid (on se réchauffe comme on peut) ils gagnèrent vite l'orée du bois de la Modière sur les hauteurs de la commune, pendant qu'à une dizaine de kilomètres de là, le maquignon et ce trop de Lucien avaient réussi la capture du premier fuyard, l'ayant maitrisé sans trop de difficultés.
Le second boeuf quant à lui continuait son périple et devenait enragé.
Piétinant la neige, il chargeait déjà. Promptement, le Jean avisa un sapin tout proche, dont il agrippa les basses branches sur les quelles il se hissa, invitant ses compagnons d'infortune à l'imiter. Si le Roger, sous l'effet de la frayeur trouva à s'y réfugier, il n'en fut pas de même pour la pauvre Francine moins leste à cause de son grand âge et de ses cotillons un peu plus encombrants et chargés de neige gelée.
Le boeuf chargeait dangereusement à présent. Le Jean exhortait toujours la Francine en patois "t'i fara be monta, se, ce vole pas !" ("il t'y fera bien monter, lui, si tu veux pas" ! - et pardon pour l'orthographe, car si je parle quelques mots de patois, et en comprends certains, je ne sais pas les écrire-) et sur ce, depuis son perchoir, il saisit la Francine par la main et l'aida à se mettre hors de porté de l'animal.
"A l'aide, au secours", entendit l'Antoine, mon oncle de Parel, qui sous le coup des 5 heure du soir faisait boire ses vaches au bac du village. Heureusement, il n'était pas sourd, et je peux vous dire que pour entendre depuis Parel, ce qui se passe à la Modière, même en étant pas bien loin, il ne faut pas l'être !
Redescendant chez lui, il prévint l'Anna, ma tante, qu'il partait à la Modière, d'où venaient des cris de détresse, que peut il donc bien s'y passer" ?
L'Anna, compatissante se fit beaucoup de soucis. Le Jean, le Roger et la Francine criaient encore et le boeuf chargeait toujours.
Arrivé sur place, l'Antoine découvrant la scène resta interloqué " Ma boun diou dô miladiou !" s'écria -t-il avant de s'en revenir au village où il lia la Charmante et la Marquise, puis aprés en avoir avisé l'Anna, repartir avec son attelage dans l'intention d'amadouer la bête.
Mais que néni, le boeuf indifférent aux belles Salers, chargeait toujours !
L'Antoine revint chez lui, délia les vaches qui ne comprenant rien à l'affaire, furent soulagées de regagner leur crèche.
L' Anna prépara du café, beaucoup de café, chargea une musette de pain, fromages et saucissons sur le dos de l'Antoine, et décrocha le téléphone, pour aviser les secours, dont le boucher d'Echandelys, qui possédait un troupeau de génisses, lequel dépêcha le Lexis son commis, au secours des naufragés de la forêt.
Le boeuf chargeait toujours et ne fut pas plus sensible au charme des jeunes vaches du Lexis qu'il ne l'avait été à celui des vieilles du Toine. La nuit s'avançait, noire et froide, elle pesait lourd, à présent, sur les épaules du Jean, du Roger et de la Francine, mais laissait le boeuf fou, indifférent.
Il fallait aviser pour en finir rapidement avec cette folle histoire. Alors que ceux de la commune s'agglutinaient dangereusement aux alentours de la Modière, on fit appel à la gendarmerie. Les gendarmes venus de Saint Germain, durent se frayer un passage parmi cette foule que la neige n'avait pas découragés. Le maquignon accouru depuis la capture du premier protagoniste ne faisait pas tout à fait le fier lorsque la marrée chaussée déclara son intention de tirer sur le fauve. "Ne tirez pas, ne tirez pas, il est doux comme un agneau !" s'exclama-t-il s'interposant entre le gendarme et l'animal.
C'est alors que le père Faure des Deux Frères, hameau situé quelques kilomètres plus haut, s'avança avec son tracteur, tous feux allumés et éblouit la bête.
La manoeuvre s'avéra efficace.
En effet, personne n'avait vu d'agneau aussi doux !
Au petit matin, quand monte la brume des vallées, que les étoiles (mais il n'y en avait pas) s'éteignent une à une, que le loup se jette sur la petite chèvre... il n'y en avait pas non plus, le boeuf capitula.
Les villageois rentrèrent à l'étable avec leurs vaches. le Jean, le Roger, la Francine, les gendarmes, et les autres se réfugièrent chez l'Antoine où les attendait l'Anna qui leur paya le jambon, le saucisson, le fromage, le vin, le café et la goutte. Et les choses rentrèrent dans l'ordre. Le maquignon remballa son agneau si doux, le père Faure repartit avec son tracteur et comme disent ici les Auvergnats, "bari bara le conte e tsaba !" ("bari bara, le conte est fini").
Cette histoire je l'ai déjà racontée d'autres fois, cela fait 57 ans de ça et je ne l'ai pas oubliée.
N'ayant pas été témoin de la scène, maman me l'a racontée par le menu. Elle fut relayée dans la presse locale, "la Montagne", ma tante, elle, ne m'en a jamais parlé. La modestie des gens d'ici qui les fait agir plutôt que dire.
Quant à l'hiver qui pousse la dame à pousser la neige dans le caniveau, j'en pense qu'avec l'accoutrement quelle a, il n'y aura pas que de la neige dans le caniveau.
Elle ne semble pas mieux équipée que les agents des services de l'état chargés de l'entretient du réseau routier.
j'adore ta conclusion!
RépondreSupprimer:-)
mais quelle histoire! et quels hivers, dans ton enfance!
Aujourd'hui le moindre flocon devient un obstacle incontournable. Il est vrai qu'il y a plus de circulation sur des routes bien plus dégradées, alors les choses se compliquent.
SupprimerCe fut une journée bien animée ! ;)
RépondreSupprimerC'est vrai que maintenant selon le secteur, le déneigement est compliqué.
En plus de l'équipement qui ne suit pas toujours, certaines communes ne veulent plus payer d'astreinte, alors si la neige tombe le we ou la nuit, rien ne se passe !
Gros bisous ma Délia
Si, on reste bloqué ! mais parait qu'on n'a rien vu, comparé à ce qui nous attend !
RépondreSupprimerQuand je vois dans quel état ça met l'automobiliste retardé d'un qurt d'heure par un peu de neige sur l'autoroute, je me dis que ces couillons auraient dû naître dans les années 50.
RépondreSupprimerPas même en montagne, simplement en Sologne...
J'en connais qui ont dû passer la nuit coincés dans les embouteillages un un jour de retour de vacances de Noël, c'était juste au début des années 2000, du côté d’Étampes si je me souviens bien
SupprimerQue de souvenirs intacts !
RépondreSupprimerJe lis ton dernier commentaire et me demande si je vais continuer à tant aimer la neige ! :-)
Je viens de voir tes superbes photos sur l'article précédent ♥
Gros bisous ma Delia, bonne journée ♥
Ma chère Praline, tes photos sont un plaidoyer pour la neige, si on se contente de la regarder, elle peut faire rêver, il faut juste la regarder, ni la touche,ni la pratiquer !
RépondreSupprimerBisous ma Pralinette.
Tu es sûre que c'était un boeuf ? Il avait plutôt un comportement de taureau furieux! En tout cas, j'ai adoré ton récit.
RépondreSupprimer•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Oui, oui, c'était un boeuf, mais sous les coups et avec la peur, on voit bien ce que ça donne déjà sur les "humains", alors sur les autres hein...
RépondreSupprimerEn tous cas quand le calme fut revenu que la Francine fut descendue de son arbre sans avoir acheté les boeufs, ceux ci sont repartis avec le mauvais marchand qui a quand mêrme fini par les vendre à unautre fermier qui lui,les a bien traités et où de jeunes qu'ils étaient ils ont fini vieux sans poser le moindre problème. Ce qui prouve bien que c'était vrai qu'ils étaient doux comme des agneaux !
Merci d'avoir commenté et d'avoir aimé (mais ça, c'est en plus, on n'est pas obligé)
bonne soirée à toi.
J'ai beaucoup aimé ton conte,tu as du talent.
RépondreSupprimerMerci Heure Bleue, je sais que c'est difficile pour toi en ce moment à cause des pépins de l'agrume. Je suis contente que tu aies aimé cette histoire. bonne soirée.
RépondreSupprimerWaouhh quel récit, il est vrai qu'en ville on ne s'imagine que peu la rudesse de ces hivers dans les campagnes et surtout à cette époque. Je déteste la neige, hier aujourd'hui et encore demain. J'en ai vécu quelques uns en région parisienne, dans le sud Essonne où mon mari déneigeait devant le portail pour que nous puissions sortir les voitures après le passage des services de la ville. Bonjour la galère, vraiment la neige j'aime pas, cela m'oppresse.
RépondreSupprimerBelle journée
J'en ai connu aussi en RP mais rien à voir avec ceux dont je me souviens en Auvergne. Ceux que je connais en Limousin durent quelques heures, au plus quelques jours mais on dirait qu'ils sont pires que les autres, tellement les gens sont empotés, si on y ajoute l'incurie des services de déneigement, la situation devient vite rocambolesque !
RépondreSupprimerC'est un beau conte d'antan - cela me fait penser au Toine, La Marie-Jeanne que l'on surnommait ainsi, quant aux vaches, en plus de la Marquise, il y avait la rousse, la noiraude, etc. Ces mots de maquignon et autres subtilités de notre langue et celles du patois nous ramènent à l'enfance... et plein de beaux ou moins bons souvenirs ... les routes, les sentiers enneigés avec les pieds qui pataugeaient dans des godillots ; la vie était rude mais belle à la campagne, à la montagne ! Bravo pour ta belle histoire !
RépondreSupprimerMais oui ! mais c'est bien sûr, le Toine et la Marie Jeanne ! nous en Auvergne, on avait le père Jouannet avec ses histoires qu'il racontait sur les ondes de Clermont- Auvergne (le vieil ancêtre de FR3) et quand je suis arrivée en Limousin, c'est le père Fumée et sa Mélanie qui nous tenait compagnie, par la voix d'Yves Desautard, au comptoir du dernier bistrot avant la Creuse. Pour sûr qu'ils se serait régalé ces chroniqueur s'ils avaient eu vent de l'histoire. Le père Jouannet n'exerçait plus depuis longtemps quant à Desautard, il ne s'occupait pas encore de tous ces banturles que nous sommes, sinon quelle histoire il aurait bâtie soyons en sûrs, autour de ce fait d'hiver, car c'est une histoire vraie, ma foi.
RépondreSupprimerEt puis, oui, nos vaches avaient toutes un nom. Les boeufs aussi, ceux ci s'appelaient peut être Pompon et Mignon comme ils auraient pu se nommer Papillon ou Mouton, Dragon ou Clairon. C'était bien la campagne, mieux que la ruralité, puisqu'il faut dire autrement. Je suis contente d'en être issue.
RépondreSupprimerQuelle histoire ! Je me suis régalé. Lire le patois que tu ne sais pas écrire a été un petit plus. Pour le reste, cette histoire aurait tout aussi bien pu se dérouler dans mon Cantal. Chez nous, les bœufs s'appelaient bourgeois et joli et chez un voisin Dragon et Cass'timon. Impressionnant, les noms, les bœufs aussi !
RépondreSupprimerTon récit m'a passionnée et m'a rappelé tant de choses !
RépondreSupprimerLa neige sur mon jardin et les toits environnements est une chose rare, mais j'adore et prends des photos....
Mon devoir a une semaine de retard mais il est lisible !
Comme l'hiver aussi a du retard (enfin le temps de saison je veux dire) on peut bien attendre un peu ! d'ailleurs je suis allée le lire ton devoir, la neige n'a pas toute fondue ! Sacrée Gwen, tu m'as faite rire.
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