J'ai devant moi une gravure du Puy de Dôme et de ses petits frères les volcans. Je me souviens que plus jeune, je rêvais de descendre dans le cratère d'un de ceux que j'apercevais depuis le haut du pré des Enclos, si nettement, quand le temps chaud devenait orageux.
Nous nous dépêchions alors de finir de gorber les foins (gorber veut dire le rassembler sur une longue ligne droite afin de mieux pouvoir le mettre en botte ou bien de le charger en vrac sur le char) pour finir avant la pluie qui anéantirait notre travail de plusieurs jours. De fin juin à parfois fin aout nous passions nos étés en fenaison. J'aimais bien ce travail pourtant pénible, mais il correspondait aux vacances, synonymes pour moi de liberté. Il rimait avec chaleur. Et j'aimais celle de juillet. Il s'accordait parfois avec de jolie surprises, comme les retrouvailles avec les cousins de notre âge, et le temps passé ensemble, tous ensemble.
Pourtant il est évocateur aussi de drames, de souffrance, de désespoir. Quand par grosses chaleurs, la fatigue aidant, mon père perdait patience et piquait de si grosses colères que nous avions peur. Quand las et fatigué, malade, il se courbait en deux ne pouvant plus respirer. Quand parfois il arrivait qu'il s'effondre un genou à terre. Quand ma mère épuisée ne savait plus que faire. Quand exténuée, elle disait de telles choses que nous avions peur. Quand la situation devenait tendue. Quand nous aussi nous aurions bien pris un peu de repos loin de la poussière de la fenière. C'était si dur. Il m'arrive souvent, encore aujourd'hui d'éprouver de l'angoisse ressurgie de ces temps là.
Mes souvenirs d'enfants sont si présents que pour moi, c'était à peine hier.
Et puis il y avait ses intenses moments où nous suivions les étapes du tour, le transistor posé à même le sol et où je m'enthousiasmais pour les exploits de mes champions préférés. Où j'étais triste s'il l'infortune les frappait. Je me souviens d'un 13 juillet 1967. C'est la première fois qu'on parlait de dopage sur le tour, mais un homme était mort.
Je me souviens de mon voisin Charles qui venait nous aider, quand on fanait son champ de la Basse. Lui aussi aimait le tour. Tout deux, n'avions d'yeux que pour Poulidor, parce que lui aussi connaissait bien les durs travaux de la ferme.
les foins à la Basse |
Par la suite, ma mère en" bénéficia" car c'est elle qui se collait à enfourner le foin dans la gueule de l'engin pendant que mon père entassait les grosses brassées jetées par la machine dans la fenière sur le chamarat.
Plus tard, quand ses crises d'asthme se déclenchaient, c'est mes soeurs ou moi qui étions chargées de l'affaire.
le vieux déchargeur |
1970 : les foins à la pâture des Narses |
les prés des Enclos |
Les travaux d'été ont longtemps occupé mes vacances et celles de mes frères et soeurs. C'était ainsi. Personne n'aurait songé à s'y soustraire. Personne ne se plaignait. Si parfois l'un de nous "râlait", on se chargeait de le rappeler à l'ordre, si bien que le retord ou la retorse cessait ses jérémiades.
Pour nous récompenser, nos parents nous autorisaient quelques sorties, le dimanche soir lors des fêtes des environs. Je n'aimais du tout ces fêtes. Je ne les ai jamais aimé, mais j'avais d'autres plaisirs pour compenser. Quand les gros travaux se terminaient, nous allions quelques jours en vacances mes soeurs et moi, chez la cousine Henriette. Je crois que tous le monde aimait cette femme simple et aimante. Franche et directe. Paysanne, comme nous, nous retrouvions chez elle, notre univers. Nous n'étions pas dépaysés, mais nous nous reposions chez elle. L'ambiance y était sereine et conviviale. il y avait toujours de l'animation dans cette famille, tant cette femme était joviale et agréable à vivre. D'autres fois, les grandes, nous allions une journée ou deux à la fin des vacances chez une copine de maman. Jeanne était aussi paysanne, sans enfant, elle aimait notre compagnie et s'occupait de nous à la manière d'une mamie. Chez elle nous étions aux anges. Je choisissais le nom de ses vaches, j'allais avec elle à l'étable m'occuper des petits veaux, j'assistais à la traite, puis nous allions lâcher les vaches au pré en bas la maison. Ensuite nous participions au menu pour le repas de midi et avec elle confectionnions de bonnes pompes aux pommes qui étaient un délice. Puis nous allions jouer avec les autres enfants du village. Parfois nous faisions une petite visite à d'autres amies de maman et à ma marraine qui habitaient non loin. Notre séjour ne se terminait pas sans regret, cependant, nous étions contentes de retrouver notre foyer.
Il n'y avait qu'un endroit où je n'aimais pas me rendre. C'était en ville chez nos tantes. Je m'y ennuyais. Je me souviens d'une fois où j'avais si hâte de rentrer, qu'au bout de 2 jours, je prétextais qu'il fallait que j’aille voir si la Jaccade avait encore à manger. Ma tante me remis aussi tôt dans l'autobus qui remontait de Clermont et lendemain, je m'occupais à nouveau de la Jaccade et de ses copines.
Les vacances terminées, c'est avec regret et beaucoup d’appréhension que nous retrouvions le chemin de l'école jusqu'aux prochaines vacances, où nous nous occupions du ramassage des pommes, une autre occasion d'aller dire bonjour à Jeanne et de retrouver toutes ces merveilleuses personnes qui par amitié pour maman, nous délivraient beaucoup d'affection.
J'aime beaucoup lorsque tu évoques tous ces souvenirs chargés d'histoire et démotions. Etant une fille de la ville c'est sûr que mon enfance à moi a été tellement différente! Un total autre monde...
RépondreSupprimerJe te souhaite un joli dimanche, gros bisous Délia!
Merci Ambre, j'espère que ton dimanche s'est bien passé également. Je viens de terminer ma confiture d'abricot. Il ne reste plus qu'à la mettre en pots mais j'attends qu'elle refroidisse un peu, j'ai pas envie de me bruler.
SupprimerTon texte est très émouvant, ton enfance a été jalonnée de souvenirs variés, tristesse, bonheur et je comprends que tout cela ressurgisse de temps à autre. Moi j'ai zappé pas mal de trucs, et c'est mieux ainsi... mais il me reste encore des souvenirs que je n'ai pas envie de raconter.Je t'embrasse et te souhaite une bonne soirée.
RépondreSupprimerComme celle de tout le monde, j'ai envie de dire, ni plus triste ni plus heureuse que celle de la grande majorité des gens. oui c'était dur les travaux de la terre, mais on ne nous faisait faire que ce qu'on pouvait. Pour les grands aussi c'était dur et en plus eux voyaient, eux savaient des choses qu'on ne voyait pas, nous. Je déduis de ton com que ton enfance n'a pas été si heureuse que ça non plus. Je comprends que certaines choses méritent d'être zappées. Que d'autres ne se racontent pas. Mais est ce que tout doit être dit ? Parfois je me dis que je devrais laisser le passé tranquille et ne plus le tourmenter. Que cela ne sert à rien puisqu'il ne reviendra pas. Mais d'autres fois, j'ai besoin de le savoir encore dans ma mémoire et de l'évoquer. C'est une façon de penser à ceux que j'ai connu et aimé et de m'en rapprocher. On fait tous que ce que l'on peut dans la vie. Eux comme nous et ils n'ont pas failli ni à leur devoir, ni à notre éducation. Qu'ils en soient honorés. J'espère te retrouver bientôt par ci par là, on n'est pas nombreux ces temps ci à échanger. Bises du soir, je vais mettre ma confiture en pot.
RépondreSupprimerBonjour Délia,
Supprimeroui comme toi je ressens des mots de Praline que tout n'a pas forcément été heureux...
Quant à "laisser le passé tranquille" je ne suis pas d'accord, car lui, "il ne nous laisse pas tranquille". En effet il existe dans quasi toutes les familles soit des secrets (parfois très lourds) soit des événements dont personne ne parle mais qui marquent à jamais, et le taire c'est devenir complice de quelque chose qui se transmettra de génération en génération. Bien entendu je fais référence à ma propre histoire familiale car je ne me permettrai pas de parler de celle de quelqu'un d'autre, même si je ne suis pas un cas isolé.
Ceci étant, ma soeur, mes cousines, si elles sont de nature taiseuse, ont lu (dévoré) d'un trait cette histoire familiale qui est aussi la leur et tout le monde maintenant se sent plus léger;
et puis sans parler des situations dramatiques, je trouve que c'est important (essentiel?) de connaître notre histoire. "laisser le passé tranquille" bien sûr, "ne pas le tourmenter" bien sûr encore. Simplement "témoigner", raconter, c'est exactement ce que tu fais, avec tes émotions, avec ton coeur, et c'est tellement important Délia! Tu sais, je baigne dans la généalogie et l'histoire de mes ancêtres depuis toujours, puisque c'est devenu une de mes 1eres passions (c'était finalement aussi une thérapie, mais ça, je ne le savais pas quand j'ai commencé à m'y intéresser); ma soeur, mes cousins, mes parents s'en fichaient.... et puis les années passent... Tout le monde vieillit... et d'un seul coup on repense au temps de notre jeunesse..... C'est dans ce contexte que Papa, par exemple, a lu le cahier que j'avais écrit sur l'histoire de sa famille, de ses parents, de ses grands-parents. Pas un mot, mais l'émotion dans le regard. Pareil pour ma soeur et mes cousines, qui s'en sont toujours désintéressé et maintenant que nos grands-parents ne sont plus là, m'ont tellement remercié d'avoir écrit, raconté, pris des notes, rassemblé les photos (où seraient-elles, celles ci si je n'y avais pas fourré mon nez?), d'ailleurs c'est bien simple toute ma vie on me donnait tout à garder, les papiers, les photos, un cousin de mon père m'a même légué tous les bijoux de sa maman (ma grand-tante que j'adorais) - les bijoux n'ont qu'une valeur sentimentale, mais c'est juste pour dire...
Alors franchement Délia, continue. Continue d'écrire, laisse remonter tes souvenirs. Pour l'instant cela semble sans doute n'intéresser personne.. Mais tu sais, ça change quand on vieillit, et les enfants, comme nous, ils vieillissent un jour... ils auront des enfants qui seront peut être drôlement contents que leur grand mère ait raconté son histoire!
Imagine ma joie si j'avais eu de tels témoignages de tous mes ancêtres dont je me donne tant de mal à retracer la vie? je ne parle pas de fouiner dans leur vie privée, mais juste savoir: où vivaient ils? de quoi? avec qui? étaient ils heureux? (ce que l'on peut arriver à savoir en décryptant des tas de petits détails anodins)
Ouf! je t'en ai mis une tartine! Il ne faut pas que je me lance sur ce sujet! :-)
Gros bisous Délia! (anniv moins un! ;-))
Bon anniversaire à toi Ambre, puisque je crois que c'est aujourd'hui, malgré que je sache que c'était avant ! (lol). Mais que dire après tes mots ? Qu'ils tombent au bon moment, puisque tu me réconfortes et m'encourages dans mes choix alors que dans le doute je m'interroge de la nécessité de faire parler le passé, et surtout pour qui, pour quoi ? J'aime bien tes tartines comme tu dis. Elles sont trés pertinentes. De plus, je ressent tellement tout ça. Alors mmerci d'être venue, et d'être là.
SupprimerUn père avec de l'asthme faire les foins, ça ne devait pas être simple, la terre est ingrate et vous n'aviez guère d'autre choix, je ne raconte pas tout, je ne parle pas de mon enfance, elle n'a pas été simple, comme la tienne et ce n'est qu'un exemple.
RépondreSupprimerNon ce n'était pas simple. Je ne sais pas si mes soeurs ont les mêmes souvenirs que moi, mais mon père avait à mes yeux beaucoup de circonstances atténuantes liées à son état de santé en particulier. Il avait surtout beaucoup de courage et ça je ne l'oublie pas. Je parle souvent de celui de ma mère, mais je n'oublie pas le sien non plus.
SupprimerAh, la période des foins ! J'aimais bien. Nous n'avions qu'un champ à faucher pour nos 2 vaches. Nous, les filles étions cantonnées à la cuisine, pour faire à manger aux hommes (nous n'avions droit qu'aux restes de ces agapes, quand ces messieurs daignaient nous en laisser). Ma mère, elle, maniait la faux comme personne (même âgée). Elle nous a raconté qu'elle était dans les champs quand les contractions pour un de mes frères (ou sœur) a commencé...Elle a dit "et le lendemain, j'y retournais"...
RépondreSupprimerNous, ce sont surtout les colères terribles de ma mère que nous craignions. Le temps des foins, elle était plus calme, même rieuse…
Parfois, j'en parle de temps en temps sur mon blog de ses terribles colères qui nous terrorisaient tant (souvent accompagnées de l'oussine). Maintenant qu'elle n'est plus là, que bientôt plus personne ne sera là pour raconter ce passé, tout va finir par s'oublier..J'espérais que notre cher oncle de 96 ans aurait raconté dans son livre un peu de son enfance...Il n'a fait qu'effleurer de loin. Il est très pudique et n'aime pas dire du mal des autres. Quand il parlait de ma mère, il disait "elle avait un sacré caractère et nous a bouffé toute notre énergie". Quelqu'un a dit "la vie de M pourrait faire un film"..J'aurais bien aimé en connaitre un peu plus sur cette vie du fin fond de cette campagne sauvage..Même les allemands n' ont fait que l'effleurer.
Quand tu racontes, je revis un peu la même enfance..
ps : au fait, et les patates, vous ne les faisiez pas ? Je n'aimais pas du tout, mais alors pas du tout ça..Et là, je ne pouvais m'y dérober. Même mon père, un gentil, nous obligeait à y être..Ca se faisait juste avant la rentrée des classes.
Ta mère avait l'air d'être une sacrée bonne femme, en effet (sans aucun sens péjoratif, naturellement). C'est dommage que votre histoire (je lis les quelques bribes que tu nous livres)n'ai pas fait l'objet de plus de témoignages en effet. Je trouve cela tellement important pour les générations qui nous survivent. En effet quand tu dis que bientôt plus personne ne sera là pour raconter ce passé, cela m'interpelle, et je me dis que c'est à chacun de faire son devoir de mémoire. Nous sommes de la même génération, nous avons vécu des choses approchantes. Qui plus est dans un même milieu. Ici je ne parle que des foins mais chaque période de l'année avait ses occupations. Le printemps avec les semailles et la terre qu'il fallait préparer, le chiendent qu'il fallait ramasser, là aussi, une belle corvée ! L'été les foins et les moissons dont je ne parle pas ici, l'automne avec le ramassage des pommes de terre, les labours, les récoltes des fruits, et le pressage des fruits, mais tout cela nous échappait plus ou moins car l'école occupait notre temps. bref... il n'y avait guère que l'hiver où nous les enfants avions un peu de répit. Mais gâché par les froides journées et les mauvais rhumes que cela générait.
RépondreSupprimerAu fait je viens de comprendre ton problème pour venir chez moi. Figures toi que j'ai essayé de laisser un com sans me connecter à mon compte google. La croix et la bannière en effet, 10 000 vélos que j'ai du trouer !
Autrefois , j'adorais les foins lors-qu’avec ma copine on rentrait des champs perchées sur le char rempli
RépondreSupprimerJe t'ai répondu sur mon blog mais je ne sais pas si tu reçois l'avis donc : la fontaine dont je montre ce détail
C'est celle qui est sur la Place Delille à Clermont - fd car moi je me gare toujours en dehors de la ville ( vers le coin du 1 er mai et ou vers le cimetières des Carmes ) et je vais en ville à Pied pour le plaisir de m’imprégner de certains détails
J'ai lu ton billet pendant mes vacances et je commente aujourd'hui car j'ai retrouvé mon ordinateur ;)
RépondreSupprimerCe que tu évoques me rappelle tellement mes premières vacances en Haute-Savoie où mon père faisait les foins avec les agriculteurs et où j'allais garder les vaches avec des petites filles de mon âge. J'ai peu de photos hélas de cette époque, juste deux ou trois de mon père sur le tracteur avec un grand sourire !!