Par delà nos souvenirs.

 Je suis sûr qu’il y a chez chacune et chacun de vous une endroit qui, bien qu’il ait peu changé a subi un changement qui, pour petit qu’il soit, a modifié grandement votre perception de l’endroit où il a eu lieu.
Et je suis tout aussi sûr que vous mourez d’envie de le raconter.
Il en va ainsi chez moi du square Nadar, en haut de la Butte Montmartre, qui a vu arriver un élément de façon étrange depuis que je suis entré en sixième au lycée situé en bas de la Butte.
L’état de quasi ruine du lycée montre qu’on accorde plus d’importance à l’état d’un minuscule recoin d’un square inconnu  que d’un établissement chargé d’amener les jeunes gens aux sommets des savoirs de l’humanité…
Bon, il faut admettre que le haut de la Butte est plus rentable grâce aux touristes que le lycée grâce aux élèves…
J’espère donc lire lundi « l’effet papillon » que de petits changements produisent sur votre vie…


Il y a prés de 30 ans que je n'ai pas revu la Butte. Sans doute elle a bien changé elle aussi. Je ne suis pas certaine d'aimer autant ce que je retrouverais que ce que j'ai laissé. Déjà mon vieux central a fermé définitivement ses portes au début des années 2000. J'étais partie déjà, non pour retrouver trace de mes ancêtre mais pour une autre contrée que j'ai vu se métamorphoser à son tour. 
La roue tourne inévitablement et laisse des traces où peu à peu tout s'efface. Mes racines sont aujourd'hui ensevelies  sous des montagnes de souvenirs qui ne me rendront jamais l'âme de ce passé. 


Je me souviens de ce coin où j'ai grandi. C'était un petit coin de terre où il faisait bon se reposer. Nous étions enfant et notre passe temps favori était de faire des roulades, on disait des "rondelous", sur les pentes gazonnées jusqu'à la rase en contre bas. Là un tapis d'herbe rêche amortissait notre course depuis le haut du pré. Située en contre bas de la route, la partie la plus haute restait en friche et abritait quelques faune sauvage, que nos vaches ne dérangeaient qu'à peine lorsqu'elles y pâturaient au milieu des genêts.  Bordé par une tuvelle (bordure qui limitait l'espace entre deux natures de terre) un champ s'étendait sur une belle surface où cultiver seigle et pommes de terre était aisé. Pendant que nos parents le travaillaient, nous surveillions nos bêtes pour qu'elles n'ailles pas s'égailler dans l'herbe grasse réservée aux foins dès l'été. Parfois, l'une d'elle venait nous lécher les pieds ou renifler notre goûter fait d'une tranche de pain bis et d'une barre de chocolat meunier. 

Au printemps, dès que les dernières neiges disparaissaient, un tapis de jonquilles le recouvrait. C'était le moment de remettre en état les prairies. Papa, muni de son taille pré désengorgeait la rase pour rendre à l'onde claire sa trajectoire et éviter les ornières que les vaches avaient creusées.  Le frais cresson bleu réapparaissait alors, prêt à nous régaler de bonnes salades dont tout le monde raffolait. 

Nous, pendant ce temps, nous nous occupions à tisser des joncs pour en faire des colliers et des bracelets. La Lorette, notre chien de berger chassait les mulots et autres rats des prés. Bientôt, l'herbe serait assez longue et nous pourrions, elle et nous, nous adonner à notre activité préférée (faire des rondelous ) en gardant à nouveau notre maigre troupeau.   La rase était bordée de pommiers que mon père et mon grand père avaient soigneusement plantés. Pommes à cidre et pommes à couteau formaient un petit verger qui donnerait à l'automne de quoi nous occuper. Pour l'heure, leur floraison était du plus bel effet et nous nous enivrions telles des abeilles, à respirer l'air embaumé. Plus bas, là où la rase faisait un coude afin d'irriguer une autre partie du pré, se dressait une rangée de cerisiers. L'été mes soeurs et moi, chapardions les premières cerises qui noircissaient nos lèvres de leur jus acidulé. C'était notre aire de jeux et nous, tous les enfants nous en donnions à coeur joie, le chien Lorette ou un autre à nos côtés. C'était l'endroit magique où beaucoup de   nos souvenirs  s'enchaînaient.

Mes Enclos vus du fond de la Pinatelle
En haut la route
 au même endroit, sous le grand pin en haut la route, avant qu'il n'existe plus.

nos champs des Enclos à l'ombre des pommiers, des cerisiers et des sorbiers au coeur des paturages, en premier plan, la Bretonne (dite Plancouët) la Charmante, la Blonde et la Nono

Et puis un jour, des gens avides de bonnes terres ont fait venir de la  ville, des ingénieurs qui d'un coup de leur crayon ont tout réagencé. Pelleteuses, bulldozers, ont  saccagé nos haies, nos chemins, nos fruitiers. Le remembrement était passé par là, de notre jardin d'Eden, plus rien n'a subsisté. Déracinés les pommiers. Abattus les cerisiers.  Détournée la rase et son eau claire. Finis les rondelous sur la pente inclinée, elle aussi fut rabotée. Plus de sorbiers. Plus de genêts. Plus de cresson dans la rase engorgée.  tout cela, dégagé ! Le remembrement pour les uns, le démembrement pour les autres. Nos prés et nos champs, "l'empire" (cinq malheureux hectares) que mon grand père et avant lui son père, s'étaient constitué, fut  dépecé. Nos bonnes terres furent  attribuées à d'autres qui les ont massacrées.   A la place on nous attribua quelques tourbières  difficiles d'accès et  assez improductives pour qu'on puisse en vivre et les exploiter. Le chemin qui desservait le grand champ des Enclos fut englué sous des monticules de remblais. Les terres arables manquaient et on les compensa par de mauvais  sentiers improvisés en champs, impossibles à cultiver. Les  Mêmes se partagèrent un gâteau bien amère pour ceux qui en firent les frais, même notre vieille Charmante fut sacrifiée. 

Il ne restait plus rien de nos jeunes années. La vie ici ne serait plus jamais pareille, plus rien ne subsistait.
Ce fut un rude coup pour mon père qui ne s'en remit jamais. 

aprés le ravage, mais cela avait moins de sens

nos bonnes terres remplacées par des joncs !


Elle était pourtant jolie ma campagne. Mais c'est partout pareil, un monde disparait, un autre se crée pour le meilleur ? Le plus souvent pour le pire, et disparaissent avec lui nos jours d'antan, où nous étions heureux. Ce coin d'Auvergne m'a rendue heureuse et mon père fier de moi. Je crois que mon grand père aurait aimé savoir qu'il a guidé mes pas. Les enfants ? Ils y ont implanté leur souche. Se sont imprégnés de ces lieux  et les aiment autant que moi. La boucle se boucle malgré soi mais les graines semées ça et là ont pris racine et je suis contente de voir que parmi la fratrie, je ne suis pas seule à défendre nos souvenirs enfouis. 
  



11 commentaires:

  1. Que de souvenirs intacts tellement bien racontés !
    Le remembrement a fait beaucoup de mal, pour l'environnement et a provoqué la "mort" de pas mal de petits cultivateurs.
    Gros bisous ma Delia ♥

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    1. Et tout ça pour s'apercevoir des décennies plus tard que c'était stupide, que ça permettait la mécanisation de l'agriculture mais que ça accélérait terriblement l'érosion des sols car l'absence de bosquets et de haies facilitait le travail du vent qui emmène l'humus...
      Bref.

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    2. C'était bien le but, en même temps !
      Bisous .

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  2. Quel désespoir de voir tout son travail détruit !!!
    Et ça continue encore et encore !
    Contente de te retrouver ma Délia ♥♥♥
    Je t'embrasse

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    1. Force est de constater que chaque fois qu'une issue semble se profiler, il en est de suffisamment nombreux pour faire tout dérailler ! faudrait pas que ça s'arrête ! on serait trop dépaysés. je t'embrasse et je retourne à mes fourneaux.

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  3. Lire tes souvenirs d'enfance fait du bien.
    Toute cette vie à la campagne, avec les animaux, les champs, on imagine les plaisir et les joies partagées. Tu décris tout cela très bien. Ça fait penser à Jean Giono.
    Et puis ce terrible gâchis de la civilisation du « remembrement »… Invasion de l'agriculture productiviste et « moderne » !
    On commence à peine à en revenir. N'est-il pas trop tard ?
    Je lisais il y a peu un article évoquant les enfants « d'aujourd'hui » vivants à l'intérieur des habitations le regard vissé sur des écrans. Avec les conséquences de toutes sortes pour leur développement.… Inquiétant quand même !
    Quoi qu'il en soit, vraiment un très beau texte, touchant !

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    1. Tout ce qui fut construit génération aprés génération, durant plusieurs siècles, personne n'a pu su le préserver. Je crois qu'il est bien tard malgré des tentatives ici ou là de revenir à de meilleures pratiques qui me semble vouées à l'échec à terme. Les enfants d'aujourd'hui, vivent à l'intérieur même quand ils sont dehors et leur horizon ne s'élargi pas au delà de leur écran 5 pouces. Ils sont les enfants de ceux d'hier qui eux sont les notres. C'est avec une infinie tristesse et une profonde désolation que nous voyons chavirer leurs embarcations, et nous finissons par plonger à notre tour.
      Merci en tout cas de ta bienveillante lecture.

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  4. ah quelle tristesse, ce saccage! je lisais avec bonheur le tableau de ton enfance et puis crac! disparues les haies, disparus les arbres fruitiers! quelle misère! quelle bêtise!

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  5. Les petits cultivateurs, disparus, englouti tout un monde où vivre de son travail avait encore un petit peu de sens. Maintenant, le toujours plus grand pour toujours plus de profit a remplacé tout ça. On ne s'en remettra pas, ça je le sais, les agrocultures font fi de la planète et les agroculteurs en demandent toujours plus. Si notre monde se rétréci c'est que nous n'avançons pas dans le bon sens. Un jour tout finira il sera trop tard. Quelle misère ! quelle ineptie !

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  6. Votre texte me touche. Je suis un gars de la campagne même si les villes me passionnent. Mes parents ont quitté la ferme, rompant avec des générations et des générations de paysannerie en 1963, j'avais 6 ans. Nous avons eu la chance, ma sœur, mon frère et moi de passer la majeur partie des vacances scolaires chez ma grand-mère à la ferme. Nos camarades de jeu dans le quartier de la ville où nous habitions ne partaient pas ou très peu en vacances. Pour moi cela restent les vacances les plus belles de ma vie et quand je me suis mis à arpenter le monde il y avait souvent une référence au village des vacances de mon enfance.
    Dans ce village de ma grand-mère, le remaniement parcellaire, censé regrouper les parcelles dispersées des paysans fut moins violent que le remembrement chez vous, mais a laissé des blessures chez beaucoup d'agriculteurs. Ma mère, 91 ans, qui a quitté la campagne avant ce remaniement s'enflamme encore si on aborde ce sujet, et presque 60 ans ont passé.
    Je vous souhaite une bonne fin de semaine.

    J'ai apprécié la chanson de Gilles Servat

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