Lorette et le morceau de lard.

Et qui est ce qui s'apprête à mettre la table ? Hein, je vous le demande !
Cette image est tout de même douce comme un conte de Pagnol et fleure bon la campagne. Celle de mon enfance en tout cas, où pendant les fenaisons on s'abritait, étant enfants sous l'ombre des cerisiers des Enclos, la Lorette à nos côtés. La Lorette, c'était notre chien de berger. Elle nous accompagnait aux champs, aux prés. Quand nous gardions les vaches, maman et moi, la Lorette guettait et au premier "Hatchi ! Vé la care" elle savait quelle vache il fallait aller tourner. (pour les citadin qui ne sont pas Auvergnat, "hatchi vé la carre"  ça veut dire, "vas y, va la chercher", c'est du patois, et tourner les vaches, c'est les faire changer de direction, au moins pour qu'elles n'aillent pas trop loin dans le regain, parce qu'il faut vous dire aussi, qu'en ce temps là il n'y avait pas encore l'électricité sur les clôtures !).
La lorette, donc était aussi friande que moi de mon 10 heure. Composé de petites bouchées de pain et de lard du cochon tué l'année d'avant, juste avant qu'il ne soit trop rance, le lard, pas le cochon, nous partagions, Lorette et moi, pendant que maman tricotait. Je la revois agiter ses quatre aiguilles et les chaussettes s'allonger au fil des jours, son sac en toile posé sur le côté, devant elle son ouvrage et nous, jouant à ses pieds. Je repense aussi à la fois où Lorette sommeillait et où, moi, par surprise je suis venue la réveiller. Elle me sauta à la figure et ses crocs marquèrent mon nez ensanglanté. De trace, point n'ont subsisté, mais je sais depuis qu'il ne faut jamais réveiller un chien qui dort.
La Lorette a fini ses jour dans un fourré au fond du pré des enclos. Je ne me souviens plus si le soir elle était rentrée, mais ce que je sais c'est que le Boby, le chien du Jean notre voisin est venu le lendemain. Il rodait autour de mon père, comme s'il lui parlait. Mon père ne comprenait pas d'abord, mais le chien insistait. Quand mon père compris enfin qu'il voulait lui dire quelque chose, Boby arrêta de tourner, il partit la tête tournée vers mon père et le regard suppliant lui dit "viens, il faut m'accompagner". Intrigué, mon père le suivit alors. Boby le conduisit pile à l'endroit où Lorette endormi, attendait qu'on vienne la chercher. Sur caresse sur la tête et un mot gentil "c'est bien tu, es un bon chien", papa repartit, Boby à ses côtes de temps en temps levait la tête vers lui et son regard de bon chien disait "merci" merci de m'avoir suivi, merci pour elle et merci aussi de m'avoir compris. Papa prit la brouette et nous l'avons accompagné chercher Lorette. Nous l'avons enterrée sous les cerisiers des Enclos, là où nous avons tant joué et avec elle cabriolé.
Cela fait longtemps de ça et l'eau de la rase qui coule au fond du pré s'en est allée. S'en sont allé  Boby, le Jean, Papa, Maman et beaucoup de ceux qui nous ont aimé. Mais je n'ai pas oublié. Pas oublié le regard de ce chien. Pas oublié son odeur, ni la couleur de son pelage. Pas oublié Boby et son intelligence extraordinaire, ni sa faculté à dialoguer. Pas oublié nos jeux d'enfants, ni la saveur de nos étés. Il m'arrive d'avoir en moi, le goût profond du morceau de lard que maman coupait pour moi, en si fines bouchées. Il n'est pas rance, seulement un peu salé.

15 commentaires:

  1. Réponses
    1. Merci à toi d'être venue. Je trouve que ce tableau inspire ce des jours heureux, non ?

      Supprimer
  2. Tu racontes avec talent la nostalgie, continue à raconter ton enfance.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Avec talent je ne sais pas, mais j'ai envie de continuer et cette consigne s'y prête totalement, alors merci au Goût de m'en avoir donné l'occasion.

      Supprimer
  3. Ton écrit est un morceau d'éternité...

    RépondreSupprimer
  4. C'est émouvant ce chien qui emmène son maître enterrer sa copine de jeux de chiens.
    Tu nous racontes de chouettes souvenirs, Délia.
    Merci.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce chien était celui de notre voisin, il était doté d'une intelligence hors norme et jouait beaucoup avec la Lorette, c'est vrai.En tout cas, il devait beaucoup l'aimer pour ne pas avoir voulu la laisser seule à pourrir dans un talus, à la merci des mouches et autres vermine ou d'un renard qui l'aurait déchiquetée. On a toujours été reconnaissants envers lui et quand il est parti à son tour nous avons eu beaucoup de peine.

      Supprimer
  5. Beaux souvenirs d'enfance !
    Ah si les animaux pouvaient parler...
    Lorsque nous disons que Dora, notre chatte parle, on nous regarde en pensant que nos sommes demeurés.
    Pourtant, elle dit merci, elle nous engueule...
    Notre chienne a aussi son langage, elle fait du bruit avec sa gamelle pour nous montrer qu'elle est vide, elle ouvre la porte lorsqu'elle veut sortir, ou faire rentrer "sa sœur" !
    Bonne journée Délia, et gros bisous

    RépondreSupprimer
  6. Bien sûr Fabie, que nous devons être des demeurés ! seulement voilà on l'est tellement qu'on sait les observer et même les comprendre parfois, même si on les comprend moins bien qu'eux nous comprennent. Et puis, surtout ils sont beaucoup plus sains que bien des humains. Alors on laisse dire ceux qui ne comprennent rien et n'y connaissent rien.

    RépondreSupprimer
  7. Texte beau texte, tu sais m'émouvoir... La nostalgie n'est plus ce qu'elle était ?! mais bien sûr que si !
    Bisous émus

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La nostalgie est universelle, elle traverse les époques et les continents, se transmet de génération en génération et de bouche à oreille. Chacun éprouvant la sienne de façon différente mais elle est toujours une source de mémoire.

      Supprimer
  8. Oh oui c'est une très belle histoire... on a un peu les yeux qui piquent...

    RépondreSupprimer
  9. Tu sais que j'ai longtemps, longtemps eu la nostalgie du souvenir d'une de nos premières chiennes, mon père l'emmenait à la chasse avec lui...Un jour, elle a disparu...On nous a dit qu'elle s'était sauvée, mais, maintenant avec le recul, je me demande si on ne l'a pas estourbie, trop vieille devenue...C'est arrivé aussi avec notre âne, dont ma mère n'a jamais voulu me dire comment il était mort..Probablement envoyé aussi chez l'équarisseur. Un chien, on peut l'enterrer dans le pré, mais un âne...Tu as les mêmes souvenirs que moi, mais mes souvenirs, j'ai l'impression qu'ils ne me font plus le même effet bœuf. J'ai de moins en moins ces sensations qui remuent les tripes. Encore plus depuis que la maison de famille ne vit plus, est abandonnée..Tant que ma mère était en vie, les souvenirs étaient encore bien présents, mère d'ailleurs qui ne faisait aucun cas des chiens, contrairement à ses enfants..Il nous arrivait de les détacher de la chaine où ils ont été reliés toute leur vie quand notre mère avait le dos tourné. Jamais, elle n'aurait supporté de voir un chien dans une maison...
    Bref, encore de biens beaux souvenirs que tu nous racontes là.

    RépondreSupprimer
  10. C'était ainsi autrefois. On ne prenait pas tant de peine ni avec les bêtes ni avec les enfants. Pourtant on avait peur d'avouer la vérité, comme si elle avait été honteuse et quelque part elle l'était. On laissait finir les bêtes au fond d'un trou, parfois les sachant finissant on les enterrait encore vivantes, parce que c'était maintenant qu'on avait le temps de faire le trou et qu'elles n'avaient pas eu la délicatesse de se presser un peu plus. Nous enfants de la terre en avons vu de toutes les couleurs. Heureusement nous n'avons pas tout su ni tout vu, sinon le traumatisme éternel serait trop grand. Nous ne pourrions pas nous regarder en face. Quant aux souvenirs, si certains s'effacent, d'autres restent bien présent et sont parfois même un peu encombrants. J'ai de la chance, je n'est gardé que les bons. Et puis oui, les chiens, les chats n'entraient pas dans les maisons. Ils n'étaient pas là pour ça.

    RépondreSupprimer

7 extraits.