Ah, la vie de quartier ! J'avoue que depuis que je suis à la campagne, j'ai un peu oublié ce que c'était la vraie vie de quartier. enfin d'un quartier comme celui que j'ai connu jadis. Avec son magasin Franprix en bas de l'immeuble, qui faisait une avancée sur l'avenue, formant une terrasse que surplombaient les logements d'habitation. C'est là que nous vivions. La vieille voisine du huitième étage y faisait descendre son chat dans un panier relié par une corde à son balcon, et nous admirions la patience de l'animal qui ne s'est jamais sauvé et n'est jamais tombé !
C'est Romain qui le premier avait repéré son manège et avait vendu la mèche. Cette vieille peau sans cesse houspillait les enfants, coupables de jouer dans la cité, de prendre les caniveaux pour des canaux, les pelouses pour des stades et les halls d'immeuble pour des parloirs. cette voisine les avait pris à partie, lui et ses copains, parce qu'il jouaient dans la cour et faisaient trop de bruit. Les enfants ne se plaignaient guère, mais ils se moquaient ouvertement d'elle. C'est ainsi que j'en sus plus et que dorénavant je guettais son manège car j'étais curieuse de voir comment elle opérait, la vieille bique !
Il y avait aussi la gentille voisine qui habitait juste à côté de chez nous et qui de temps en temps nous conviait à prendre un verre ou un café. Il y avait aussi celle de l'immeuble en face où nous habitions avant. Avant, c'était avant la naissance de la Ponette. Maria qu'elle s'appelait. Elle nous aimait beaucoup. Son chien Tom n'aimait pas rester seul et grattait la porte en aboyant de façon désespérée. Quand la Ponette est née,un samedi matin, c'est Maria qui a gardé Romain. Nous avions, avec cette femme réfugiée de la guerre d'Espagne, de longues conversations sur son passé, sur son présent. Nous avons participé au baptême de son petit fils et fait la fête avec sa famille. Quand nous sommes partis, je crois bien qu'elle a pleuré presque autant que moi. Il y avait encore Madame Travert, c'était son nom, c'est pour ça que ça s'écrit différemment. Elle faisait peur aux enfants, parce qu'elle était différente. Ils l'appelaient "la madame de travers", parce qu'elle était atteinte de la maladie de Parkinson. C'est dur pour un enfant d'entendre certaines choses. A force de patience, j'avais réussi à ce que les miens ne la repoussent pas. Mais je voyais bien dans leur regard qu'ils n'aimaient pas être face à elle. La gêne est toujours là, même quand on appelle à la combattre par la tolérance et le respect. Quand nous avons quitté la ville et ses tours pour venir à la campagne, j'étais loin de me douter de ce qui m'attendait. Je savais que je ne retrouverai jamais ce que je venais de quitter. Je n'étais pas gaie ce premier jour d'aout 1996. Je ne savais pas encore que toute ma vie je regretterai le choix que j'avais fait.
Arrivés à la campagne, aprés avoir enduré les désagréments causés par notre logeur, un vieil avare aigri et sans gêne, il n'y avait que deux habitations où nous allions vivre désormais. Mais quel enfer ! Croyez moi !Il y avait d'abord le locataire voisin, un homme peu avenant et sûr de son bon droit d'être ici chez lui, partout où il n'y avait encore personne. Vieille habitude prise qu'il ne comptait pas abandonner de sitôt. Il y avait son propriétaire qui lui était partout chez lui, chez les autres plus encore. Vieil ivrogne malfaisant et procédurier, autant qu'ordurier, du reste. C'est là que je compris que nous n'avions rien à faire ici. Malheureusement nous venions d'acheter, il n'était pas question de décamper. Nous dûmes nous battre, procéder à des dépenses considérables pour faire valoir nos droits. Renoncer à d'autres. Pendant pres de 20 ans nous avons été les parias. Pendant 20 ans nous avons subi les mauvais regards, les troubles de voisinages, les commérages, même si nous avons décidé d'ignorer tous ceux qui nous tournaient le dos ou du bout de leur sabot, les séquelles sont importantes et ne se solderont jamais. Et on nous parle encore de délinquance juvénile ? Je vous assure que la sénile existe bel et bien et ne se trouve pas dans le neuf trois !!
Même si nous avons tout de même choisi d'avancer envers et contre tous, s'il fallait refaire un choix, je vous jure que ce ne serait pas celui là et que j'y resterais dans mon HLM du 9 - 3 !
A tous ceux qui peuvent penser que la vie à la campagne n'offre que bien être et repos, je veux dire que je suis la preuve vivante qu'il n'en est rien. C'est bien pour les vacances et les loisirs, mais pour y vivre, je sais, y a des fois où on se dit qu'il y a des bons côtés, mais là, TINTIN !!!